ANALYSES

« République exemplaire » : tautologie ou oxymore ?

Presse
2 février 2017
Montesquieu le disait : «Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent (…). Mais, dans un État populaire, il faut un ressort de plus, qui est la vertu». C’était au XVIIIe siècle.

«L’exemple vient d’en haut». La célèbre maxime résonne avec une acuité toute particulière pour ce quinquennat jalonné par une série d’«affaires» qui nourrit la tentation de se laisser porter par le discours décliniste et décadentiste. Celui-ci s’avère pourtant par trop simpliste. Le malaise aujourd’hui perceptible est lié au cercle vicieux dans lequel nous plonge le slogan vertueux de la «République exemplaire». Cette configuration s’inscrit dans notre propre histoire. La République repose en effet sur une part de croyances, de représentations, de valeurs constitutives d’un système axiologique formé notamment par «la vertu, l’honnêteté, l’honneur», triptyque érigé par le président de la République lui-même lors de son intervention télévisée au lendemain de l’aveu de son ministre délégué du Budget, Jérôme Cahuzac.

Non seulement la tradition républicaine voue une passion pour l’égalité, mais elle s’est construite sur l’opposition entre vertu et corruption. L’héritage révolutionnaire est ici prégnant : dans sa volonté de rupture avec l’ordre ancien, Robespierre « l’Incorruptible » a fait de la « morale publique » l’un des fondements de l’ordre nouveau. Après l’épisode de la Terreur, le républicanisme ne devient moralisme que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Victor Cousin, Jules Simon, Étienne Vacherot, Renouvier et surtout Jules Barni placent la question de la morale au cœur de la philosophie de la République. Le républicanisme devient moralisme. Le dévouement à la chose publique ou la «vertu civique» est un principe structurel d’un État républicain incarné par les grandes figures politiques de l’époque : Victor Hugo, Jules Ferry, Gambetta, Jaurès.

Pourtant, dans ce domaine comme dans d’autres, la République et ses représentants entretiennent l’esprit de contradiction. Souvent présentée comme un «âge d’or», la IIIe République est aussi celle des grands scandales politico-financiers. Le président Jules Grévy a dû démissionner à cause de l’affaire du «commerce» de décorations impliquant son gendre, le député Daniel Wilson. La seule qualification qui existait alors était la corruption, inapplicable en l’espèce à Wilson ; d’où la création du délit de « trafic d’influence », bien connu par de nos contemporains… Une série d’affaires – Crawford (1879), Panama (1892), Rochette (1910), Oustric (1930) ou Stavisky (1933) – a nourri la contestation même de la République par les ligues d’extrême-droite (tentative de putsch du 6 février 1934), puis par le mouvement poujadiste sous la IVe République. Quant à la Ve République, malgré la probité exemplaire du fondateur du régime, le Général de Gaulle, la vie politique est rythmée depuis la fin des années 1980 par des scandales politico-financiers qui mettent en lumière le rapport «problématique» entre argent/intérêt public et argent/intérêt privé. Une confusion des genres qui sape la confiance censée nourrir le lien entre les citoyens et leurs gouvernants. Or l’heure n’est plus à l’indifférence, à la tolérance et à l’acceptabilité sociale des pratiques de corruption, d’emplois fictifs ou même de conflits d’intérêts liés au cumul de fonctions. L’heure est à la défiance. Même si la République et la démocratie ne se confondent pas, leur imbrication historique (du moins en France) fait que l’affaiblissement de l’une ne peut qu’affecter l’autre. Autrement dit, la crise démocratique est aussi une crise de la République. Une relation que Montesquieu établit en ces termes : «Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un État populaire, il faut un ressort de plus, qui est la VERTU».

L’adoption d’un arsenal juridique de plus en plus étoffé en faveur de la transparence et de la moralisation de la vie politique n’a permis ni d’éradiquer les comportements délictueux, ni de rétablir la confiance des citoyens dans les responsables et institutions politiques. En cela, il semble que la juridicisation du politique n’est pas une solution en soi : le législateur aura toujours une loi de retard sur le comportement individuel des responsables politiques. La moralisation comme la confiance politique dépend d’éléments essentiellement d’ordre métajuridique, culturel : le culte du secret et de la figure de l’«homme providentiel» sont autant de freins aux évolutions des pratiques/mœurs politiques. Aucun dispositif de contrôle – même a priori – ne remplacera une culture déontologique fondée sur le sens de la vertu.
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