ANALYSES

« Pauvre Mexique » – Donald Trump, la déraison du plus fort

Presse
2 février 2017
C’était il y a un peu plus d’un siècle. « Pauvre Mexique », aurait dit le président mexicain d’alors, Porfirio Diaz, « si loin de Dieu, si près des États-Unis ». Ces temps que les Mexicains pensaient oubliés seraient-ils de retour après l’élection de Donald Trump ? Bon an, mal an, Mexico avait trouvé, à la fin de la guerre froide, un modus vivendi diplomatiquement correct.

Accord de libre-échange avec Washington incluant le Canada, sommets tripartites, visites croisées de plus en plus amicales, du républicain George Bush au démocrate Barack Obama. Il y avait bien des difficultés, les approches étant différentes sur la question des migrants et la lutte contre le trafic de stupéfiants. Mais les responsables en parlaient assez ouvertement et franchement. Jusqu’au 20 janvier 2017. L’entrée en fonction d’un républicain non identifiable, Donald Trump menace en effet l’acquis bilatéral de plusieurs dizaines d’années. Les souvenirs amers d’un passé traumatisant y trouvent une réactualisation inattendue. Dès l’indépendance, la nation aztèque avait été sous pression du voisin nord-américain. Invasion militaire, occupation de la capitale, annexion de la moitié du pays, – Texas, Californie, Nouveau-Mexique, Colorado.

Le traité de paix signé à Guadalupe-Hidalgo en 1848 proclamait une paix universelle (1). Mais en 1853, les États-Unis exigeaient et obtenaient une révision. Et annexaient un autre bout du Mexique. Les États-Unis ont débarqué leur infanterie de marine à Veracruz en 1916. Puis, sans besoin de taper sur la table, ont obtenu une sorte de protectorat. Le Mexique a compensé le manque de bras pendant la Seconde Guerre mondiale en exportant des milliers de travailleurs. Plus tard, il a consenti des avantages fiscaux et sociaux aux entreprises nord-américaines de montage (ou maquiladoras) installées sur sa frontière nord.

Les circonstances internationales avaient donné au Mexique quelques poussées de fièvre nationaliste. Avec l’Allemagne à la veille des deux conflits mondiaux, avec la France pendant la guerre froide. Vite contenu par les États-Unis, l’échec de ces initiatives avait convaincu le Mexique que la meilleure manière de préserver sa souveraineté était de rester à l’écart du monde. Seule entorse à cette règle, il a refusé de reconnaître la légitimité de l’Espagne franquiste et de suspendre ses relations avec le régime cubain de Fidel Castro. La chute du mur et de la Maison soviétique avaient bouleversé la donne. Le Mexique avait signé avec les États-Unis et le Canada un accord de libre-échange d’Amérique du nord. Le Mexique progressivement intégrait plusieurs organisations internationales. OCDE (Organisation de cooopération et de développement économiques), OMC (Organisation mondiale du commerce), la CELAC (Communauté d’États latino-américains et caribéens), puis consécration suprême, le G20, le groupe des 20 plus grandes puissances du monde. Mis en confiance, le gouvernement d’Enrique Peña Nieto prenait la décision de mettre son pays en capacité de participer aux opérations de paix des Nations unies.

L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche a brutalement bouleversé la place du Mexique en Amérique et dans le monde. Donald Trump en effet, a réactivé un nationalisme nord-américain, oublié. Celui d’une époque où les États-Unis jouant de leur asymétrie de puissance économique et militaire imposaient leur loi. Serions-nous revenus, a opportunément commenté un intellectuel mexicain, Gustavo Vega, aux années sombres de la présidence de James K. Polk ? (2) Ce président qui a annexé 50 % du territoire mexicain au nom de la raison du plus fort. Et au mieux ou au pire en justifiant cet acte invasif par des arguments spécieux et racistes. La Destinée manifeste que la Providence aurait accordée aux États-Unis sur le continent américain a été « inventée » en 1845 (3), au moment de l’annexion du Texas. Tout comme les lieux communs xénophobes attribuant aux Mexicains paresse, indolence et donc inaptitude au développement ? (4)

Les discours anti-mexicains de Donald Trump puisent dans ce vivier nauséabond, hérité du passé. Tout ce qui vient du sud est porteur, a-t-il répété, de maladies et de crime. Les migrants qui viennent chez nous, tout comme les Mexicains qui restant chez eux ont volé des milliers d’emplois aux travailleurs nord-américains. Moralité : il a d’un trait de plume effacé l’espagnol de la communication de la présidence. Validant ainsi la thèse identitaire de Samuel P. Huntington. Puis il a décrété la construction d’un mur frontalier de plusieurs centaines de kilomètres. Un mur payé en punition pour les fautes et défauts qu’il leur attribue par les Mexicains.

Enfin l’ALENA, a-t-il annoncé, est désormais caduque. Menaçant de rétablir des taxes commerciales dissuasives, il a d’ores et déjà contraint de grandes entreprises à revoir les investissements programmés au Mexique. Bien sûr ces mesures qui ciblent sans ménagement un partenaire qui n’a pas de moyens de rétorsion ont valeur d’exemple. Chinois, Européens, Japonais, dont les entreprises investissent au Mexique sont visés. Tout comme les entreprises nord-américaines ayant créé des emplois en Chine. Le Traité transpacifique négocié par Obama ne sera pas ratifié. Le Brexit est applaudi. Le traité transatlantique est de fait enterré. Soit. Mais il n’en reste pas moins que le message transmis au monde par la voie mexicaine est d’une brutalité diplomatique insolite. Le président mexicain a multiplié les gestes d’apaisement. Il a nommé un secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Luis Videgaray, très critiqué pour ses relations anciennes avec Donald Trump. Il a accepté l’extradition aux États-Unis du Chapo Guzmán, ressortissant mexicain responsable d’un groupe de trafiquants de drogue. Il a envoyé deux de ses ministres engager un dialogue en janvier 2017. Mais rien n’y a fait. Fidèle à son expression sommaire, à base de « touits », Donald Trump a confirmé le jeudi 26 janvier 2017 qu’il était prêt à recevoir un Enrique Peña Nieto, disposé à payer le mur frontalier que vont construire les États-Unis. Sinon, « qu’il annule sa visite ». « Parce que » a-t-il « touité » vendredi 27 janvier 2017, « le Mexique a depuis trop longtemps tiré profit unilatéralement des États-Unis ».

Ces décisions prises en quelques jours, celles qui peuvent suivre si l’on se reporte au livre publié sous la signature de Donald Trump (5), peuvent avoir des conséquences internationales déstabilisatrices qui vont bien au-delà de la décomposition de la relation Mexique-États-Unis. Le Mexique et ses entreprises dans l’urgence sont contraints de mettre en place des plans « B ». Le Mexique pourrait importer les denrées alimentaires dont il a besoin d’Argentine et du Brésil. Le Mexique a signé ces dernières années des traités de libre-échange avec l’Union européenne, plusieurs pays asiatiques, le Chili, la Colombie, et le Pérou. Tous ces accords peuvent être dynamisés. La Chine a d’ores et déjà, à Lima comme à Davos, proposé de prendre la place abandonnée par les États-Unis. L’ambassadeur chinois à Mexico, Qiu Xiaoqi, l’a confirmé le 29 janvier dernier. Ce qui, signale l’historien, Lorenzo Meyer, pourrait permettre paradoxalement de conquérir sa deuxième indépendance (6).

La guerre commerciale qui s’annonce a fait une autre victime, indirecte. L’idéologie, les affinités politiques ne sont plus déterminantes pour les États-Unis. Déjà on avait pu le constater avec le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba, décidé par Barack Obama. Cette mesure avait eu pour conséquence la suspension de l’asile automatique accordé aux Cubains arrivant aux États-Unis sans papiers par voie de terre. Les élites au pouvoir à Mexico, formées aux États-Unis, d’idéologie libérale, sont désarçonnées. Peña Nieto a annulé sa visite à Washington. Le PRI est contraint de retrouver ses valeurs historiques, la nation et le drapeau. Comme 83 % des Mexicains selon un sondage (7). Les échos des diatribes vénézuéliennes sont de moins en moins entendus à Washington. Qu’elles viennent des autorités qui dénoncent l’impérialisme, ou de l’opposition qui appelle au secours le camp des libertés. Tant que le robinet à pétrole coule vers Washington, en effet, il est peu probable que l’on assiste à un débarquement pour rétablir l’ordre démocratique. « America First ».

(1) Article 1 du traité, México, SRE, Tratados de México, Josefina Zoraida Vázquez ; María del Refugio González, 2000.
(2) Du Centre d’études internationales du Collège de Mexico (Colmex).
(3) Par John O’Sullivan.
(4) Voir Williams De Forest, « Overland », New York, Sheldon, 18741 in Marcienne Rocard, Isabelle Vagnoux, « Les États-Unis et l’Amérique latine », Nancy, Presses universitaires, 1994.
(5) « Great again » ou dans la première édition « Crippled America », Simon, Schuster, 2015.
(6) Lorenzo Meyer, « Distopia mexicana. Perspectivas para una nueva transición », México, Debate, 2017.
(7) In El Financiero, 26 janvier 2017.
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