ANALYSES

« Les Etats-Unis ont méprisé aussi bien le droit international que la souveraineté irakienne »

Presse
30 décembre 2016
Interview de Karim Pakzad - RT
Dix ans après la mort de Saddam Hussein, l’agent de la CIA John Nixon qui l’avait interrogé après sa capture a publié un livre sur Saddam Hussein dans lequel il affirme «Y avait-il un intérêt à chasser Saddam du pouvoir ? Je ne peux parler qu’en mon nom lorsque je dis que la réponse est non». Etait-ce pour vous aussi une erreur que de renverser aussi rapidement ce régime ?

Absolument. L’intervention américaine en Irak n’était pas légale. C’est la raison pour laquelle on peut la qualifier d’invasion. Aucune autorité juridique internationale, à commencer par le Conseil de sécurité de l’ONU, ne leur avait permis d’intervenir militairement en Irak. Sur le plan du droit international, c’était une intervention illégale. Mais il n’y a pas que cela. Cette guerre menée par Georges W. Bush a incroyablement manqué de cohérence et s’est appuyée uniquement sur la force brute militaire tout en négligeant l’ensemble des fondements politiques irakiens. Ils ont détruit toute piste de structures politiques existantes, notamment l’armée irakienne. Dès le début, les Américains ont nommé un consul, Paul Bremer, qui dirigeait le pays à la place des Irakiens. Les Etats-Unis ont méprisé aussi bien le droit international que de la souveraineté irakienne. A son arrivée au poste de président des Etats-Unis, Barack Obama a compris qu’ils avaient commis une erreur fondamentale en Irak et a décidé de retirer les troupes américaines du pays. Mais le mal était déjà fait. Cette intervention américaine a désorganisé l’Irak et, par ses conséquences collatérales, l’ensemble de la région.

Quel bilan tirer aujourd’hui de la situation politique irakienne ? Le pays s’est-il remis de son renversement ?

C’est un bilan assez contrasté. Il est évident que l’intervention américaine en 2003 a désorganisé l’ensemble des institutions irakiennes. Ça a été un véritable problème. Par la suite, les Etats-Unis et leurs alliés se sont retrouvés quasiment seuls pour contrecarrer le mouvement de résistance qui a pris très vite et tout seul le caractère de résistance islamiste djihadiste ultra-radicale. Cette situation a entraîné durant dix ans une période d’incertitudes, d’insécurité et d’instabilité. Le point culminant a été à partir de 2014, avec la montée en puissance de l’Etat islamique né en Irak, parti conquérir la Syrie avant de revenir sur le territoire irakien par Mossoul. L’occupation de Mossoul par l’Etat islamique a fait basculer l’Irak dans une autre période : celle où l’intégrité et l’existence de l’Etat irakien étaient en jeu. Ça a entraîné une prise de conscience à l’intérieur même du pays, mais aussi à l’échelle régionale dans la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran, puis plus tardivement au niveau de la communauté internationale. Car soudain, l’Etat islamique n’était plus seulement une menace pour la région mais pour le monde entier avec la série d’attentats qu’on a pu connaître.
Cette sorte d’entente, malgré certaines divergences notamment entre l’Occident et la Russie contre le terrorisme, a été bénéfique au gouvernement irakien. L’arrivée de Haïder al-Abadi, le nouveau Premier ministre qui est plus consensuel et moins autoritaire que Nouri Al-Maliki, a permis une certaine détente entre les différentes confessions du pays. Il travaille à mettre en place un gouvernement composé de personnalités compétentes issues de toutes les communautés. La société civile et les autorités religieuses le soutiennent en ce sens. Il a aussi le soutien de la communauté internationale. On peut dire que l’Irak a aujourd’hui une réelle chance de se renforcer et se stabiliser. A condition que les puissances étrangères l’aident. D’autant plus qu’on assiste à une stabilisation des prix du pétrole qui pourra bénéficier au pays et à sa reconstruction, même si ces revenus pétroliers ne suffiront pas.

Outre la bataille de Mossoul qui s’annonce longue, chaotique et meurtrière, quels vont être les défis à relever pour que l’Irak atteigne une stabilité politique, économique et multiconfessionnelle ?

Il y a deux éléments importants qui permettront d’aider l’Irak à retrouver une stabilité. Il faut d’abord comprendre qu’il y a une rivalité régionale entre l’Iran et l’Arabie saoudite, à laquelle s’ajoute maintenant l’intervention turque, en Irak. Cette rivalité jusqu’à maintenant a été néfaste pour les Irakiens. Chaque puissance essaie de soutenir ses protégés et dans cette situation l’Irak ne peut pas trouver sa place politique. Il ne peut pas consolider sa politique nationale de sécurité, de stabilité et de développement. Il faudrait vraiment que ces trois grandes puissances régionales prennent conscience qu’un Irak stabilisé, dans lequel toutes les communautés ont leur place, ne peut être que bon pour l’ensemble de la région. C’est un premier élément essentiel pour permettre une certaine détente entre les communautés du pays. L’autre point, c’est qu’il ne faudrait pas que la communauté internationale abandonne l’Irak après l’élimination physique ou militaire de Daesh dans le pays. L’Irak a besoin pour sa reconstruction d’argent et d’aide de la part des Nations unies mais également de pays tels que les Etats-Unis, la France, l’Union européenne, la Chine ou la Russie. Il faut que la communauté internationale reste mobilisée pour aider les Irakiens. Ces deux éléments détermineront l’avenir de l’Irak.

L’obsession de la Turquie contre les Kurdes pourrait-elle à elle seule empêcher la normalisation de la situation irakienne ?

La Turquie, même si sous Saddam Hussein elle n’intervenait pas de manière ouverte sur le territoire, a toujours connu des milieux nationalistes qui avaient une certaine visée sur l’Irak. Il faut rappeler que la création de ce pays remonte à la chute de l’empire ottoman. Or depuis la chute de Saddam Hussein, la Turquie a essayé d’intervenir dans la politique du pays et d’envoyer des troupes pour combattre les Kurdes turcs réfugiés dans cette région. Plus récemment avec la création de Daesh, la Turquie a même mis en place des milices composées de Turkmènes et d’éléments arabes sunnites qui sont source de conflits entre l’Irak et la Turquie. Recep Tayyip Erdogan essaie de jouer un rôle aussi bien en Syrie qu’en Irak. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur le fait qu’au delà de la rivalité historique et fondamentale pour l’Irak avec l’Arabie saoudite, cette volonté turque de plus en plus prégnante d’avoir une aire d’influence en Irak contribue à la déstabilisation du pays. Il faut que la Turquie comprenne qu’elle a plus intérêt à aider le gouvernement central irakien à surmonter ses divisions plutôt que de chercher à imposer son influence sur le terrain. C’est la seule solution pour permettre au pays de construire un Etat souverain fort.
Sur la même thématique