ANALYSES

Premier tour des élections en Haïti : l’abstention en tête

Presse
23 novembre 2016
En effet. Dimanche 20 novembre 2017, 6 millions d’électeurs haïtiens étaient invités à voter pour élire leur président de la République, 25 députés et 16 sénateurs. Les premiers résultats ne seront pas connus avant la fin du mois. Le verdict définitif prendra au minimum une semaine supplémentaire. Et le résultat définitif sera proclamé, le 29 décembre 2016. L’éventuel deuxième tour attendra le 29 janvier 2017. Première nouvelle pour beaucoup de Français, cette consultation électorale. Pourquoi donc cette ignorance assourdissante. Haïti n’est-il pas un pays qui appartient à la famille francophone ?

Il est vrai que voter n’est pas en Haïti chose facile. L’argent manque pour organiser le scrutin, imprimer les bulletins, doter chaque bureau d’urnes adéquates en nombre suffisant, acheminer ce matériel dans les différents lieux de votation, collecter et centraliser les résultats. Selon l’AFP « faute d’électricité dans la majorité des bureaux, le personnel électoral (affecté au dépouillement) ne dispose que de lampes portatives ou de bougies pour s’éclairer ». La campagne a été minimale. Les candidats ont peu de moyens. Le vote en clair est un révélateur de la gravité de la situation économique et sociale d’un pays en construction indéfinie. La cascade d’accidents naturels -tremblement de terre et cyclones-, n’a rien arrangé.

Paradoxe ? Ils étaient vingt-sept à tenter leur chance présidentielle. Vingt-sept dont la plupart étaient inconnus des électeurs. Seul l’un d’entre eux, Jovenel Moïse, a pu tourner l’absence de communications routières grâce à un hélicoptère qui lui a permis de se faire connaitre d’un bout à l’autre du pays. Les autres ont participé comme ils l’ont pu. Ce qui est l’essentiel pour le président intérimaire. Jocelerme Privert a donc solennellement appelé ses concitoyens à voter. Pour le chef de l’État, « Si Haïti parvient à se stabiliser politiquement par des élections crédibles (…) Haïti parviendra à se développer ». C’était aussi, dans le sabir de l’ONU, l’opinion répandue sur les sites les plus officiels par le Core Group (Brésil ; Canada ; Espagne ; États-Unis ; France ; OEA ; Union européenne). « Le scrutin (…) marquera une étape cruciale pour la consolidation et la stabilité. (…) Le Core Group appelle (donc) tous les Haïtiens à exercer leur droit de vote constitutionnel le 20 novembre ».

L’onction des urnes selon le credo international universellement admis donnerait de la sorte aux autorités haïtiennes la clef du développement. Haïti, seul PMA (pays les moins avancés) des Amériques, a été ravagée en 2010 par un tremblement de terre (230 000 victimes). Les 3 et 4 octobre derniers l’ouragan Matthew a dévasté le sud du pays. Les dégâts ont été évalués selon Romain Bastien, ministre de l’Économie et des Finances, à 1,89 milliard de dollars, ou, en monnaie locale, à 124,8 milliards de gourdes. 20 % du PIB auraient été rayés d’un trait de vent. Et catastrophe des catastrophes, il a fallu reporter au 20 novembre les élections prévues le 9 octobre.

Les Haïtiens, a regretté la mission d’observation électorale de l’OEA, auraient boudé les urnes. Seraient-ils donc sourds aux recommandations de leur président par intérim, Jocelerme Privert, et du Core Group ? Ou exprimeraient-ils de la sorte un doute profond sur la qualité démocratique de leurs institutions et celle de la solidarité internationale ? Le doute citoyen est, il est vrai, compréhensible. Les élections du 9 octobre, reportées au 20 novembre, sont la répétition de celles déjà organisées le 25 octobre 2015, et annulées pour fraude électorale avérée.

L’aide internationale, non coordonnée, instrumentalise le pays devenu le champ de politiques publiques et associatives d’aides, génératrices d’influence et de rayonnement pour les donateurs. L’ONU qui vient régulièrement faire la police à Port-au-Prince a réintroduit, accidentellement tout de même, le choléra. 9 000 Haïtiens en sont morts. Au passage, faute d’autorité sur les flux financiers et matériels désordonnés venus d’Australie, de Belgique, du Brésil, du Canada, de Chine, de Cuba, des États-Unis, d’Espagne, de France, du Japon, du Koweït, du Mexique, des Pays-Bas, de la République dominicaine (RD), de la Banque mondiale et de l’Union européenne, les officiels locaux montent des pontages, à finalité partisane, dans le meilleur des cas. Dérive reconnue le 31 octobre 2016 par le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales. Tout cela au vu et au su d’une population qui cherche logiquement dans un tel contexte une issue à ses plaies et à l’épidémie de choléra dans la fuite.

Depuis toujours les plus pauvres des Haïtiens traversent à pied la frontière qui les sépare de la Dominicanie (RD) voisine. Les autres, au prix de plusieurs milliers de dollars, tentent leur chance au-delà des mers. Vers les États-Unis, le Canada et les territoires français des Amériques depuis longtemps. Plus récemment, retombée inattendue de la présence de troupes latino-américaines dans le cadre de la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilité de Haïti), des filières clandestines ont été consolidées en direction du Brésil, via le Pérou et la Bolivie, et plus récemment vers le Chili. Les donateurs, après avoir médiatisé avions d’urgence et opérations humanitaires, ont, discrètement, repris les expulsions de migrants haïtiens sans papiers.

Toutes choses sans doute qui permettent de comprendre le silence réservé dans les gazettes et les déclarations officielles aux présidentielles haïtiennes. « Saumâtre bilan » avait déjà signalé à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance haïtienne, toujours ignorée des manuels scolaires français, un rapport au ministre des Affaires étrangères, établi et rédigé par Régis Debray (1). Qui donc est au courant de la déculottée infligée à Vertières il y a 213 ans presque jour pour jour, par des soldats noirs aux militaires envoyés par Napoléon pour rétablir l’esclavage à Saint-Domingue ?

(1) Régis Debray, « Haïti et la France », Paris, La Table Ronde, 2004
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