ANALYSES

5 leçons de la victoire de Donald Trump à retenir pour notre présidentielle

Presse
10 novembre 2016
A voir les réactions des uns et des autres en France à la victoire « surprise » de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, il apparaît évident que celle-ci fera partie des événements qui devraient avoir un impact sur les débats et peut-être même sur le résultat final. Cela paraît être d’autant plus le cas que Donald Trump accèdera officiellement à la présidence le 20 janvier prochain, soit quelques jours avant la primaire socialiste des 22-29 janvier, et ses cent premiers jours à la Maison Blanche se dérouleront durant la partie la plus décisive de la campagne électorale en France pour se terminer aux environs du premier tour de la présidentielle. Donald Trump devrait être par conséquent dans toutes les têtes.

Plusieurs leçons peuvent être d’ores et déjà tirées de cette arrivée au pouvoir de Donald Trump. La première est qu’il faut sans aucun doute se montrer prudent par rapport aux sondages et aux pronostics. Ces derniers tendaient à donner Hillary Clinton gagnante dans la plupart des cas de figure. Il en a été de même pour le Brexit au Royaume-Uni en juin dernier où les résultats ont déjoué les pronostics. Cela avait été d’ailleurs aussi le cas lors des élections générales de mai 2015 assez largement remportées par les Tories. Pour un sondeur comme Gaël Sliman, le président de l’institut Odoxa, cela s’explique par la méthode spécifique employée par les instituts de sondage aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. La prudence s’impose néanmoins en la matière, notamment en ce qui concerne les primaires, même si cela ne valide pas pour autant la thèse du « vote caché » défendue par Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, on a pu voir récemment en France que les pronostics pouvaient s’avérer erronés avec la défaite surprise de Cécile Duflot lors de la primaire d’Europe écologie-Les Verts ou le rejet de la candidature Mélenchon par les cadres du Parti communiste français.

La seconde leçon est que les candidats qui incarnent le système sont aujourd’hui grandement fragilisés et que le fait d’être opposé à un candidat populiste n’est plus une garantie de l’emporter. La victoire de Trump est, en effet, aussi en grande partie une défaite d’Hillary Clinton, qui est à coup sûr l’incarnation du « système » aux Etats-Unis, tant par les fonctions qu’elle a exercées – sénatrice de New York, ancienne secrétaire d’Etat de l’Administration Obama, ancienne First Lady – que par son approche « technocratique » et froide des dossiers ou encore son attitude quelque peu méprisante à l’égard des électeurs de Donald Trump qu’elle qualifiait de « pitoyables » en septembre dernier. Dans ce contexte, elle n’a pas réussi à mobiliser une partie de son électorat alors que les enquêtes indiquaient, par exemple, qu’il y avait 30 à 40 points d’écart entre elle et Trump dans certaines catégories comme les femmes et les Hispaniques. En France, cela peut être le point faible de certains hommes politiques qui peuvent présenter un tel travers technocratique et donner l’image d’élites froides et arrogantes. C’est l’image qu’a eu pendant longtemps quelqu’un comme Alain Juppé, par exemple.

La troisième leçon est que les mouvements populistes sont à coup sûr en train de devenir des acteurs-clefs de systèmes politiques en voie de recomposition un peu partout dans les pays développés. Sous leur influence, on n’assiste plus ces dernières années à une « course vers le centre », mais plutôt à une « course vers la radicalité » et vers un « fondamentalisme », avec une volonté d’en revenir aux « fondamentaux ». On le voit à droite, mais aussi de plus en plus à gauche avec Bernie Sanders aux Etats-Unis ou Jeremy Corbin en Grande-Bretagne. Cela donne sans aucun doute une prime aux partisans de droite ou de gauche « décomplexées ». C’est le cas en France avec le mouvement de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon ou les différents candidats « frondeurs » à la primaire socialiste (Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Marie-Noëlle Lienemann, Gérard Filoche) et à droite avec les accents thatchériens du programme de François Fillon ou le discours « décomplexé » de Nicolas Sarkozy.

La quatrième est que l’on a sans aucun doute sous-estimé l’effet délétère de la crise sur certaines catégories de la population, en dépit d’une reprise économique significative et d’une baisse du chômage aux Etats-Unis ou d’une reprise plus poussive et d’une décrue récente du chômage en France. Aux Etats-Unis, ce sont en particulier les blancs peu ou pas diplômés qui ont le plus soutenu Donald Trump. Ils semblent avoir pâti de l’évolution économique récente puisque l’on estime, par exemple, que le salaire moyen des personnes n’ayant pas effectué d’études supérieures a baissé dans ce pays depuis 25 ans. Les hommes blancs, qui étaient « dominants » jusqu’à une période récente, tendent également à se considérer à tort ou à raison en « insécurité culturelle » dans une société dont ils n’acceptent pas l’évolution. On le voit aussi en France, par exemple avec les travaux du géographe Christophe Guilluy sur la France dite « périphérique », notamment périurbaine, ou ceux du démographe Hervé Le Bras qui a montré l’existence d’une forme de corrélation entre le vote FN et la France « fragile ».

Enfin, la dernière leçon, sans doute la plus préoccupante, est que l’idée selon laquelle les mouvements populistes protestent, mais ne parviennent jamais à accéder au pouvoir ou à voir leurs idées triompher ne correspond plus à la réalité. Le Brexit (et notamment l’orientation en faveur d’un « hard brexit ») et l’élection de Trump en sont la preuve. Un nouveau « cycle politique » semble s’ouvrir dans le monde développé que l’on pourrait qualifier de « cycle populiste ». Il devrait se traduire par l’arrivée au pouvoir de courants populistes ou nationalistes, un frein sérieux à la libéralisation des échanges et a fortiori des flux de personnes ou à l’intégration régionale et une forte polarisation des sociétés. Les scrutins qui s’annoncent dans les mois à venir devraient sans doute le confirmer, avec notamment le nouveau second tour de la présidentielle en Autriche en décembre 2016 et bien entendu la présidentielle en France. Il n’est qu’à voir la réaction enthousiaste de Marine Le Pen à l’élection de Trump –elle a déclaré sur France 2 le 9 novembre que celle-ci « est la preuve que l’on peut rendre possible ce qui est présenté comme impossible. Cela conduit à deux réactions différentes dans les autres partis: celle de la gauche ou d’Alain Juppé qui se présentent comme des garants de la démocratie et celle de Nicolas Sarkozy, pour qui « le choix du peuple américain doit être entendu […] Il exprime une volonté de changement, il exprime le refus d’une pensée unique ».
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