ANALYSES

Funérailles de Shimon Peres et des accords d’Oslo

Presse
3 octobre 2016
Le prix Nobel de la Paix Shimon Peres a été inhumé à Jérusalem. Si plus de 90 délégations internationales ont assisté aux funérailles de l’ancien président israélien, l’ensemble de la communauté internationale n’était pas réuni à cette occasion.

Seule la communauté occidentale était présente en force. Preuve à la fois du sentiment d’appartenance de l’Etat israélien au monde occidental et de la normalisation inachevée de ce pays, comme l’atteste en particulier l’absence de toute représentation– au niveau des chefs d’Etat– de ses voisins arabes… exception faite du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Cette apparente incongruité marque en réalité la part de responsabilité de l’Autorité palestinienne dans l’impasse actuelle. L’échec du « processus de paix » est perçu aussi comme un échec de cette entité politique, incapable d’endiguer la colonisation et d’ériger enfin un Etat palestinien. Si la corruption endémique et l’absence de perspective politique continuent d’altérer sa légitimité, la présence de son président Mahmoud Abbas aux funérailles de Shimon Peres symbolise la rupture avec son propre peuple.

Les funérailles de Shimon Peres étaient aussi celles des accords d’Oslo, auxquels son nom demeure associé. Du reste, l’échec de ces accords s’explique aussi par l’attitude israélienne si bien symbolisé par la dualité de Shimon Peres. Derrière son discours de paix qui sied si bien aux élites occidentales, la réalité historique est plus cruelle : à travers ses diverses fonctions politiques et institutionnelles, il a non seulement accompagné la politique de colonisation israélienne, mais il a contribué à rendre le projet d’Etat palestinien quasi irréalisable. Une réalité historique qui contraste avec la manière dont le monde occidental s’est plu à présenter de façon toute élogieuse cet animal politique hors pair qui a cautionné, alors qu’il était ministre de la Défense dans les années 1970, les premières colonies juives en Cisjordanie, mais aussi directement impliqué dans des décisions/actes susceptibles de relever de la catégorie des actes de guerre… Il était en effet Premier ministre en 1996 quand un bombardement de l’aviation israélienne a causé la mort de plus de 100 civils réfugiés dans un camp de réfugiés de l’ONU, dans le village libanais de Cana.

Dans le même temps, son rôle est indéniable dans le rapprochement israélo-palestinien qui a suscité un espoir de paix et la perspective d’une solution à deux Etats, israélien et palestinien. Il a d’emblée soutenu les négociations secrètes– le Parlement israélien n’abrogera la loi du 6 août 1986 interdisant les contacts avec l’OLP que le 19 janvier 1993– israélo-palestiniennes qui se sont tenues durant deux ans par l’entremise de la Norvège.

Ministre des Affaires étrangères de son grand rival travailliste Yitzhak Rabin– qu’il a convaincu d’engager leur pays dans cette voie diplomatique – il était chargé des négociations une fois officialisées, qui aboutiront en 1993 à la conclusion des fameux « Accords d’Oslo ». L’accord de principe (ou « Oslo I ») sur les arrangements intérimaires d’autonomie consacre la reconnaissance mutuelle de l’OLP et d’Israël, et créé l’Autorité Palestinienne, entité responsable pour une période transitoire d’autonomie (de cinq ans au plus) de la gestion de certaines villes de Cisjordanie et de Gaza. Yasser Arafat reçoit le Prix Nobel de la Paix en 1994, en compagnie des Israéliens Shimon Peres et Yitzhak Rabin…

Toutefois, l’ambiguïté et les silences de ces Accords indiquaient d’emblée un risque d’échec. Des questions cruciales n’avaient pas été tranchées, ni même abordées : le statut de Jérusalem-Est, le sort des réfugiés, les colonies de peuplement, le tracé des frontières, l’accès à l’eau. Les accords de « Taba » (« Oslo II », 1995) prévoient l’extension des territoires autonomes gérés par l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et une série de retraits israéliens, suivant un découpage de la Cisjordanie en trois zones A, B et C. L’acception de cette typologie territoriale constitue avec le recul historique une erreur stratégique de la part des Palestiniens. L’arrivée au pouvoir de la droite nationaliste (Likoud) bloque la réalisation de ce plan de retrait… Alors que la période transitoire d’autonomie a expirée depuis mai 1999, maigres sont les réalisations du processus d’Oslo. Le déclenchement de la seconde Intifada traduit la frustration palestinienne à l’égard d’accords qui n’ont pas ouvert à la voie à la libération nationale.

C’est dans ce contexte que le Prix Nobel de la Paix Shimon Peres n’hésitera pas à assurer le service après-vente – sur la scène internationale – de la politique de colonisation d’Ariel Sharon, de retour au pouvoir au début des années 2000, malgré sa responsabilité directe dans le massacre de Sabra et Chatila en 1982. Un cynisme qui disqualifie l’analogie hasardeuse de Barack Obama, qui n’a pas hésité à élever Shimon Peres au même rang que Nelson Mandela. L’amour rend aveugle, dit-on…
Sur la même thématique