ANALYSES

Mondialisation, marchés financiers, politique industrielle : mais que peut véritablement faire un État face à l’économie du XXIe siècle ?

Presse
17 septembre 2016
Interview de Sylvie Matelly - Atlantico
Le cas emblématique d’Alstom a pu mettre en lumière, une nouvelle fois, le rôle de l’Etat au sein de l’économie dans un contexte d’une économie mondialisée, et semblant être dirigée par les marchés financiers. Au delà du cas spécifique d’Alstom, entre la macroéconomie européenne, la capacité budgétaire d’un pays, et le rôle des Etats dans les politiques industrielles nationales, quel est véritablement le pouvoir d’un Etat dans l’économie du XXIe siècle ?

La question n’est pas tant celle d’un Etat dans l’économie du XXIe siècle car dans l’absolu il peut tout faire, ce sont des choix politiques. La limite est posée par les engagements de cet Etat d’une part et l’insertion de l’économie nationale dans l’économie globale d’autre part. L’Etat français par exemple de par ses engagements internationaux (UE, OMC etc.) s’est engagé dans une voie libérale où l’intervention publique pour soutenir une entreprise est perçue comme peu équitable (par rapport aux autres entreprises ou par rapport à nos partenaires économiques ou encore plus aux pays en développement qui n’ont pas les moyens d’en faire de même…). L’insertion de l’économie nationale dans la globalisation est également essentielle. Une économie qui est fortement dépendante de financements extérieurs, qui attire les investissements étrangers, qui commerce beaucoup avec le reste du monde (exportations et importations) n’a pas intérêt à s’exonérer du respect des règles libérales qui régissent cette économie globale. Rappelons que les exportations françaises, c’est presque 20% d’emplois en France et que les investissements étrangers en France, c’est soit de la création nette d’activité soit le sauvetage d’une activité en difficulté…

Quelles sont les lacunes qui ont pu être mises en évidence lors des dernières années ? Peut-on dire que les dirigeants ont laissé le pouvoir, en laissant de côté certains de leurs pouvoirs, ou s’agit-il de contraintes réelles, conséquences de la mondialisation ?

La question de la politique industrielle est une vraie question, souvent posée ces dernières années et pas seulement en France. Sauf qu’une politique industrielle, c’est une réelle stratégie, avec des objectifs et des enjeux, des moyens financiers et humains etc. pas des réactions au cas par cas en fonction des polémiques et scandales. Pourquoi vouloir maintenir des compétences industrielles nationales? Cette question est fondamentale et la réponse n’est jamais fournie par les décideurs politiques. Ce peut être pour des raisons stratégiques (conserver des savoir faire importants pour préserver notre souveraineté nationale, préserver un système national d’innovation en maintenant les bureaux d’études d’entreprises de pointe par exemple), pour des raisons sociales (préserver l’emploi dans certains bassins d’emplois sinistrés – il n’est d’ailleurs pas dit que le meilleur moyen d’y parvenir soit en maintenant les entreprises qui y rencontrent des difficultés… une politique d’aménagement du territoire peut aussi être une forme de politique industrielle !), pour des raisons politiques, culturelles ou autres. Tout cela relève toutefois plus d’un choix politique qu’économique ! L’Etat est souvent très mauvais gestionnaire et ses choix industriels sont discutables d’un point de vue économique. Soutenir un secteur d’activité en difficulté, c’est aussi retarder sa restructuration et par conséquent accroître le désavantage qu’il a face à ses concurrents donc in fine accroître encore ses difficultés. La question de l’emploi est politiquement difficile à assumer, c’est une évidence mais subventionner une entreprise uniquement pour maintenir les emplois conduit bien souvent à les détruire quand même in fine. L’argent investi aurait probablement été beaucoup plus utile à financer de la formation pour que ces personnes puissent se reconvertir, des incitations à la création d’entreprises, des primes à l’installation de nouvelles structures ou encore le financement de R&D.

Outre sa mission d’encadrant et son rôle de protecteur, de quels outils l’État dispose-t-il pour assurer aussi bien que faire se peut une mondialisation participant au bien commun ? Quels sont les dispositifs les plus efficaces pour faire face aux défis de demain ?

Le rôle de l’Etat dans un monde global est clairement à redéfinir. Les politiques économiques classiques fonctionnent mal, se révèlent coûteuses (politique budgétaire) ou risquées (politique monétaire). Même le rôle protecteur de l’Etat est discutable au vu de l’ampleur des inégalités et/ou des niveaux de chômage. Pour autant, une économie sans Etat c’est encore plus d’inégalités, des crises etc.

L’Etat doit déjà fixer des règles et un cadre et faire respecter ces règles. Cela paraît une évidence mais la tendance a été plutôt à la suppression d’un certain nombre de régulations jugées pénalisantes ces dernières années, quant au respect des règles, il suffit de regarder tout le débat sur l’imposition des grandes entreprises pour se rendre compte des limites de l’exercice. Les Etats doivent aussi se coordonner plus pour que les règles soient respectées par tous.

Le contexte est également important. L’Etat peut financer des infrastructures, routes, autoroutes, connexions et réseaux dans les régions isolées etc. Regardez l’impact positif qu’a pu avoir le TGV ou la fibre dans certaines régions françaises. Enfin, l’Etat doit continuer à assurer son rôle de protecteur (c’est un amortisseur social), mener une politique industrielle etc. mais il a dans un monde global un impératif de résultats. Il doit donc savoir pourquoi il le fait, comment il le fait et s’adapter au cas par cas en fonction du contexte. La limite de cela relève probablement du fait que le temps politique ne coïncide jamais avec le temps économique…
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