ANALYSES

Un contrepoids à l’OTAN à l’Est ?

Presse
27 juin 2016
Alors que l’Organisation de Coopération de Shanghai réunit d’ores et déjà le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, la Chine ainsi que la Russie, l’Inde et le Pakistan ont fait part de leur volonté de rejoindre l’organisation à l’occasion d’un sommet ce week-end à Tachkent.

L’Inde et le Pakistan ont récemment fait connaître leur volonté de rejoindre l’Organisation de coopération de Shanghai, qui réunit notamment le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, la Chine et la Russie. De nombreuses analyses dépeignent l’OCS comme un projet visant à faire face à l’OTAN. Qu’en est-il concrètement ? Que peut-on dire des enjeux qui sous-tendent cette expansion de l’OCS ?
Vouloir présenter l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) comme un contrepoids à l’OTAN est, je crois, assez étonnant. L’Organisation de coopération de Shanghai n’est pas (dans un premier temps, au moins) une organisation militaire. Ces pays, par ailleurs, n’ont absolument aucune vocation à être alliés. A l’inverse, les différentes nations qui composent l’organisation se sont mises d’accord sur une coopération en matière de renseignement et en matière d’entraide policière vis-à-vis d’un ennemi commun.
Cet ennemi commun, c’est le fondamentalisme islamique. Souvent, on parle d’OTAN parce que l’Organisation de coopération de Shanghai rassemble de nombreux pays, mais ils sont loin de mettre en commun autant de choses que ne le font les pays qui composent l’OTAN.
Vis-à-vis de l’OTAN et des États-Unis, il me semble qu’un certain nombre de gens ont abandonné tout rapport à la réalité pour s’ancrer dans une forme d’anti-otanisme primaire et d’anti-étatsunisme primaire particulièrement bon ton en ce moment. Encore une fois, l’OCS et l’OTAN n’ont pratiquement rien en commun : il n’y a pas, ou très peu, de rapports entre les deux ; bien qu’il existe certainement au sein de l’OTAN des individus prêts à critiquer toute organisation comprenant la Russie et/ou la Chine. Dans un cas comme dans l’autre, c’est une absence de bon sens et de raisonnement pratique. Cela n’a pas de rapport avec la réalité : une base de données, des échanges, quelques exercices policiers en commun, des échanges entre gardes-frontières et douaniers. Il n’y a pas de forces communes à l’OCS et avant que cela ne soit le cas, un certain temps devrait s’écouler. Rappelons-nous que la Chine et l’Inde n’ont pas vocation à devenir alliées : une guerre les opposaient en 1962 et il existe encore des contentieux solides. D’autre part, la Chine n’a pas d’alliés et refuse catégoriquement d’en avoir.
Si l’Inde et le Pakistan ont effectivement très envie de rejoindre l’Organisation, je suis loin d’être sûr que ce désir soit partagé par la Chine, qui ne souhaite pas nécessairement voir l’Inde ou le Pakistan rejoindre l’OCS de plein droit. En revanche, la Russie – et le Kazakhstan en particulier – seraient, à l’inverse, tout à fait d’accord à leur arrivée. Comme dit précédemment, les enjeux relèvent essentiellement de l’échange de renseignement : l’Inde comme le Pakistan sont tous deux victimes du terrorisme fondamentaliste et manquent cruellement de données dans un continent où les courants fonctionnent dans tous les sens. Pour accéder aussi bien à une banque de renseignements qu’à une coopération policière, l’Inde comme le Pakistan (dont les intérêts sont pourtant très généralement opposés) ont tout à gagner à accéder à de telles informations.

Quelles sont les motivations exactes de l’Inde et du Pakistan pour rejoindre l’OCS ?
Commençons par rappeler les informations primordiales : l’Organisation de la coopération de Shanghai n’a pas vocation à mener d’autres missions que celles précédemment évoquées. Elles ne se limitent pas tout à fait – mais comprennent en grande partie – à la lutte contre le terrorisme islamique, dans la mesure où ce n’est pas la seule forme de terrorisme à frapper le continent. Il existe également d’autres formes de terrorisme, comme des groupes indépendantistes ou irrédentistes, divers et variés. Cependant, la plus grosse tâche à laquelle s’attèle l’OCS, c’est bien le terrorisme fondamentaliste islamiste. C’est la principale motivation des acteurs qui rejoignent ou participent à l’OCS. Cependant, il va de soi que tout renseignement est bon à prendre et peut présenter un intérêt à proprement parler. Cela ouvre donc évidemment d’autres possibilités.

Dans quelle mesure de nouvelles arrivées au sein de l’OCS sont-elles susceptibles de diluer l’influence de la Chine dans l’organisation ? Les relations entre l’Inde et la Chine pourraient-elles, à l’inverse, renforcer Vladimir Poutine ? Pour quelles conséquences ?
Les discussions devraient être assez intéressantes car, à ma connaissance, la Chine s’est toujours opposée à l’arrivée de pays disposant d’autres qualités que celle de co-observateurs, et tout particulièrement à l’arrivée de l’Inde. Alors que, effectivement, le poids de la Russie et de l’Inde qui ont des rapports forts pourrait contrebalancer le poids de la Chine au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai. L’Inde, si elle devient membre à part entière, nourrira des exigences qui compliqueraient la tâche de la Chine. Il est probable que de son côté, la Chine cherche à jouer sur un axe avec le Pakistan pour équilibrer le tout.
La question qui se pose est donc de savoir si l’OCS continuera à fonctionner sur un plan très technique relatif aux échanges de données, ou si ses acteurs vont commencer à ne plus se montrer l’ensemble des cartes. Il existe d’ores et déjà des jeux de poker menteur et les renseignements sur les pénétrations musulmane – éventuellement terroriste – ou mongole – éventuellement terroriste – en Chine représentent des possibilités pour la Russie, le Pakistan, le Kazakhstan et le Tadjikistan. Toute l’évolution dépend également des cultures : nous sommes là confrontés à un monde asiatique, dans lequel on ne prend pas d’engagement par écrits, à un monde slave qui s’est plus occidentalisé – le monde indien plus encore – ou les engagements écrits sont essentiels. Ces deux façons de travailler vont entrer en collision… plus les communiqués seront longs et détaillés, moins il est probable qu’il y ait d’accord.
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