ANALYSES

Affaire Benzema : une affaire identitaire ?

Presse
2 juin 2016
Le sport en général et le football en particulier ne constituent pas des mondes coupés du monde. Non seulement ils s’inscrivent pleinement dans le cadre imposé par la société du spectacle et les lois du marché, mais ils n’échappent pas aux batailles idéologiques qui traversent l’ordre politique. Ainsi, il y a à travers l’affaire «Benzema», une remarquable illustration du piège ou de l’impasse identitaire. D’un côté, il y a une part de cynisme et d’irresponsabilité dans l’attitude d’un sportif qui n’hésite pas à mobiliser le seul argument du racisme pour expliquer sa non-sélection. De l’autre, il y a un déni de réalité de la part des élites médiatico-politiques à (vouloir) ne pas voir le poids du discours raciste qui a pesé dans la décision (non raciste) de ne pas le sélectionner.

Plus largement, la pure logique sportive a été rattrapée et absorbée par le prisme identitaire, qui s’impose comme grille d’analyse générale et exclusive. L’identité expliquerait tout, ou presque, y compris le fait d’être sélectionné ou non, de chanter ou pas La Marseillaise, etc. La catégorisation communautaire de l’équipe de France fait écho à la représentation fragmentée de la société française. La communautarisation ethno-raciale et/ou ethno-culturelle de la représentation de l’équipe de France conforte le doute sur ce qui unit la société elle-même. Le prisme purement identitaire sape la cohésion nationale. Ce système communautaire constitutif de l’ordre identitaire entretient un climat de méfiance et de suspicion généralisé.

Comment en est-on arrivé là ? Dès lors que les traditionnelles identités et solidarités de classe – encore partiellement pertinentes – ont été érodées, on a assisté à un glissement de la lecture sociale (par classe) à une représentation identitaire (par groupe) d’une société perçue comme «black-blanc-beur» pour mieux neutraliser la question des classes/inégalités sociales. Cette tendance aboutit à un mode de pensée qui culturalise la société comme le sport/football, sans pour autant neutraliser tout risque de réactiver la «guerre des races». Non seulement les citoyens/sportifs sont renvoyés à une identité présumée par un regard culturaliste et/ou essentialiste, mais ils se trouvent réduits à une appartenance particulière, constitutive à elle seule de leur propre identité.

La bataille culturelle et idéologique lancée par les identitaristes a envahi le champ du politique, bien au-delà des frontières de l’extrême droite. Cette dynamique est source de reconfiguration du système des partis et affecte les traditionnels clivages extrême droite/droite/gauche. Des digues cèdent, des frontières s’effacent, des jonctions s’établissent. L’entreprise a ceci de pervers que le tenants de l’«identité nationale française» n’hésitent pas à se parer des valeurs de la République pour se prémunir contre toute critique. Ainsi à droite comme à gauche, il y a encore des responsables politiques pour considérer qu’il n’y a pas de problème de racisme et de discriminations en France. Quelle France?
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