ANALYSES

Autriche : « Le FPÖ reste un parti de droite populiste xénophobe »

Presse
22 mai 2016
Interview de Jean-Yves Camus - L'Express
Les deux candidats à la présidentielle autrichienne, Norbert Hofer pour le FPÖ, et l’écologiste Alexander Van der Bellen, sont au coude-à-coude ce dimanche. Comment l’extrême droite est-elle arrivée aux portes du pouvoir? L’analyse de Jean-Yves Camus.

Comment expliquer le succès du candidat d’extrême droite au premier tour de la présidentielle et dans les sondages pour le second tour ?
Il y a d’abord une très nette fatigue de la coalition des deux grands partis au pouvoir, les conservateurs de l’ÖVP et les sociaux-démocrates du SPÖ. Les 18,9% récoltés par la candidate indépendante Imgard Griss illustrent ce rejet. A eux deux, les candidats des deux partis au pouvoir n’ont obtenu que 22,3% des voix! Les résultats du 1er tour ont, en tout cas, montré une vraie division villes/campagnes. Le candidat écologiste Alexander Van der Bellen est en tête dans la plupart des grandes villes, Vienne, Graz, Linz, Innsbruck et Feldkirch. Tout le reste du pays a donné sa préférence au candidat d’extrême droite Norbert Hofer, avec souvent 10 points d’avance.
Ensuite, le FPÖ ne fait pas peur en Autriche, contrairement à d’autres partis populistes en Europe. Il a déjà participé à des gouvernements de coalition dans les années 1980 et en 2000. Il gère deux länder dont le Burgenland, la région d’origine de Norbert Hofer.

Le parti FPÖ a eu un passage à vide après sa scission en 2005. Comment a-t-il réussi à remonter ?
La pratique gouvernementale, en 2000-2002, lui a coûté cher. Habilement, le chancelier conservateur Wolfgang Schüssel avait confié des fonctions régaliennes au FPÖ, dont le portefeuille des finances. Or, le parti populiste a mené une politique très classiquement libérale qui l’a mis en porte-à-faux avec son électorat des classes moyennes et populaires.
La mort de Haider et la découverte des turpitudes personnelles du dirigeant avaient aussi contribué au recul des populistes. Mais ils ont récupéré leur place dans l’échiquier politique autrichien parce que l’offre politique est obsolète.

La crise des réfugiés a aussi pesé, alors que l’Autriche s’est retrouvée en première ligne, compte tenu de sa position géographique, à la porte des Balkans…
Oui, bien sûr. Mais on oublie aussi que l’essor récent du FPÖ doit beaucoup à une autre crise des réfugiés, celle de la guerre des Balkans dans les années 1990. Elle leur avait permis de ravir une partie de l’électorat populaire qui votait auparavant pour le parti social-démocrate. A l’époque, il s’agissait en grande partie de réfugiés bosniaques et albanais. En parallèle, la concurrence de la nouvelle main d’oeuvre bon marché en provenance d’Europe de l’Est [Vienne est à une heure de voiture de la Hongrie, de la Slovaquie et de la Tchéquie] a aussi renforcé l’attrait des messages populistes.

Comment définir le FPÖ? Il a fait des efforts de « dédiabolisation ». Est-ce toujours un parti d’extrême droite ?
Il existe toujours au sein du parti des cercles d’extrême droite traditionnelle très marqués par l’esprit grand-allemand, c’est-à-dire favorables à des liens plus étroits avec l’Allemagne, voire à une incorporation de l’Autriche au sein d’une grande Allemagne. Ils sont toutefois minoritaires, désormais. Le FPÖ a écarté les éléments néonazis de ses rangs.
Mais il reste un parti de droite populiste xénophobe. Il refuse le multiculturalisme et l’immigration, et considère tous les demandeurs d’asile comme migrants économiques et non des réfugiés. La dimension anti-islam de son discours est très forte. Il s’appuie sur la mémoire collective, en Autriche, mais aussi dans toute l’extrême droite européenne, selon laquelle les Ottomans ont été stoppés à Vienne.
Sur le plan économique, le FPÖ réclame à la fois la liberté du marché et le protectionnisme, une sorte de libéralisme national.

Que peut faire Norbert Hofer s’il est élu président ?
Il a, dans un premier temps laissé entendre qu’il pourrait tirer profit des pouvoirs relativement étendus que lui accorde la constitution. Il aurait la possibilité de dissoudre l’Assemblée et nommer un nouveau chancelier, en cas de désaccord majeur sur les orientations politiques du gouvernement actuel, par exemple sur la question des réfugiés. Dans l’idéal, il aimerait sans doute que des élections anticipées lui donnent la possibilité de nomme Heinz-Christian Strache, le dirigeant national du FPÖ, à la Chancellerie. Il tentera de « présidentialiser » un peu une fonction d’habitude assez protocolaire, par exemple en refusant de signer certains traités comme le TAFTA. N’oublions pas aussi qu’il représente l’Autriche au niveau international. Il a indiqué qu’il se rendrait aux sommets européens aux côtés du Chancelier, ce qui n’est pas l’habitude.

Le parti social-démocrate pourrait-il, comme il le fait à l’échelon local, tenter un rapprochement avec le FPÖ, en vue des prochaines législatives ?
Cette perspective semble s’éloigner avec la démission du chancelier Werner Faymann, la semaine dernière. Il avait tendu des perches aux populistes et effectué un virage radical sur la question des réfugiés en décrétant « l’Etat d’urgence migratoire ». Mais le très populaire maire de Vienne Michael Häupl qui a assuré l’intérim à la tête des sociaux-démocrates a clairement écarté cette option. Il considère qu’une alliance avec le FPÖ est contre-nature et achèverait le parti.

Les messages de soutien au candidat écologiste Alexander Van der Bellen de plusieurs dirigeants européens peuvent-ils être contre-productifs auprès de l’électorat autrichien?
Je ne le crois pas. Alexander Van der Bellen est un économiste très respecté, plutôt libéral. Ce n’est pas un gauchiste. Il ressemble davantage à un Vert allemand qu’à un écologiste à la française.
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