ANALYSES

La République debout

Presse
11 avril 2016
Alors que la question de son évacuation définitive est désormais posée, la place de la République à Paris est le siège symbolique et historique d’un mouvement citoyen qui gagne le pays. Si l’appel à la Révolution ou au grand soir n’est pas à l’ordre du jour, quelque chose se passe (enfin) au pays de la passion pour l’égalité.

« Nuit debout » exprime un profond désenchantement à l’égard de gauche au pouvoir, certes, mais plus largement à l’égard d’un monde perçu comme vide de sens. C’est pour échapper au néant et à l’impasse existentiels des lois qui régissent le marché-monde -voué à la compétitivité de l’Homme- que « Nuit debout » tente de redécouvrir le sens humaniste de la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité ». En cela, le mouvement citoyen actuel redonne ses lettres de noblesse à une République sous l’emprise de discours identitaire et sécuritaire insusceptible d’ériger un quelconque renouveau du champ des possibles.

Le substrat de la République comme idéal progressiste pose la question du Pacte ou Contrat social susceptible de le fonder. Sorte de syncrétisme intégrant l’héritage de la Révolution française et des acquis démocratiques et sociaux du XIXe et XXe siècles, le « modèle républicain » est constitutif de représentations mentales, morales, philosophiques, culturelles et axiologiques. Construite dans et par l’histoire, la République se présente en effet comme une vision du monde, totale, fondée sur un ensemble de valeurs, d’institutions, de symboles, d’hommes. Cette construction ne s’est pas imposée d’elle-même : une bataille idéologique et culturelle pour asseoir sa vérité sur la République, son propre modèle ou paradigme républicain, traverse l’histoire de France depuis 1789. Cette histoire n’est pas finie. Nuit debout en atteste.

Si de profonds clivages traversent notre société, la crise identitaire de la république est une crise de l’égalité. Les inégalités (sociales et territoriales) continuent de structurer une société incapable de conjuguer le respect du singulier et la définition du commun. L’atomisation et le cloisonnement de la communauté nationale ont engendré une citoyenneté à plusieurs vitesses dont l’inégalité sociale -plus que l’hétérogénéité culturelle des populations- demeure la matrice. En cela, le délitement de la République n’a rien d’une menace prospective: il s’agit d’une réalité déjà à l’oeuvre dans une société figée par l’autoreproduction des élites.

L’idée même de méritocratie républicaine se trouve en effet altérée par des mécanismes de reproduction qui consacrent l’injustice comme matrice d’un ordre social caractérisé par le creusement des inégalités. Le sentiment de vide existentiel se conjugue alors au sentiment d’injustice. Or plutôt que de se perdre dans une quelconque forme de nihilisme, les citoyens de Nuit debout ont le mérite de s’être engagée dans une voie qui se veut pacifique et constructive, une voie qui permet aussi de faire vivre la devise de la République.
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