ANALYSES

Nuit Debout à Paris, Indignés, Occupy Wall Street… pourquoi les mouvements spontanés qui se multiplient depuis l’an 2000 n’ont jamais trouvé de vrai débouché politique

Presse
5 avril 2016
Interview de Eddy Fougier - Atlantico
Une nouvelle forme de contestation, caractérisée par une organisation horizontale et l’occupation de lieux, a vu le jour en 2011 avec entre autres Occupy Wall Street aux Etats-Unis et le mouvement des Indignés en Espagne. Les Veilleurs, mouvement apparu en 2013 en marge de la Manif pour tous, et aujourd’hui Nuit Debout, semblent reprendre les mêmes codes. Comment est née cette forme de contestation ?

Eddy Fougier : Nous avions déjà eu en France des tentatives d’occupation de la place de la Bastille et du quartier de la Défense, sans grand succès. C’est donc quelque chose d’un peu neuf en France, du moins pour cette orientation politique, puisque les Veilleurs formaient un mouvement classé à droite, qui s’opposait à la loi sur le mariage pour tous. Ce qui est amusant avec du recul, c’est que le mandat de François Hollande aura été caractérisé par deux formes d’occupation, une de droite et l’autre de gauche.

Pour ce qui est des occupations de lieux urbains, il y a le modèle du monde arabe.

Il y a eu notamment l’occupation de la Place Tahrir en Egypte, par des jeunes qui remettaient en cause le système politique et dénonçaient leurs difficultés d’intégration économique et sociale. Il y a une autre forme de résistance, cette fois à des projets d’aménagement, ce sont les Zad (Zones à défendre). Certains ont même parlé de Zad pour l’occupation à la Place de la République. Je remarque d’ailleurs que dans pas mal d’entretiens que j’ai pu lire avec des personnes présentes sur place, elles se font appeler « Camille ». Ce détail m’a un peu titillé, quand les zadistes sont interviewés, ils veulent systématiquement se faire appeler « Camille ». Il y a très certainement des parentés, au moins en termes idéologiques, en termes de vision du monde, en termes d’organisation, puisqu’il y a cette idée de non-structuration et d’horizontalité dont vous avez parlé. La communication, où on croise les bras si on n’est pas d’accord et on lève les mains si on est d’accord avec ce que dit celui qui vient de parler, est également similaire.

Tout cela est inspiré de ce qui s’est passé à la Puerta del Sol à Madrid. J’ai l’impression que c’est la convergence d’un certain nombre d’expériences que l’on peut faire remonter, non pas aux Indignés ou au Printemps arabe, mais à un certain nombre de contre-sommets altermondialistes. Lors du sommet du G8 en France de 2003, il y avait déjà des villages alternatifs, qui se développaient sur les mêmes bases. Ce n’était pas des Zad, mais des lieux éphémères, qui essayaient de créer un nouveau système. Il y a donc différents types d’influences, certaines sont mêmes plus radicales, comme le mouvement des squatteurs ou ce qu’on appelait au début des années 2000 les Zones autonomes temporaires (TAZ). C’était les Black Blocs, qui en sont à l’origine. L’idée était de créer à un moment donné sur un espace un monde alternatif. J’ajouterais également les raves party. C’est une sorte de longue lignée de désobéissance civile, que nous pourrions faire remonter jusqu’à Gandhi ou Martin Luther King.

Le mouvement Occupy Wall Street est resté lettre morte. En Espagne, Podemos, qui provient des Indignés, est devenu un parti social-démocrate comme les autres. En France, une partie des Veilleurs a tenté à travers Sens commun de faire de l’entrisme chez les Républicains, sans succès. Pourquoi ces mouvements n’ont jamais réussi à trouver de réelle traduction politique?

Podemos est plus à gauche que la social-démocratie. C’est plus proche de Jean-Luc Mélenchon que de Pierre Moscovici. J’irais plus loin que vous. Il y a eu le même problème avec l’altermondialisme. Ce mouvement avait pour objectif d’influencer la décision politique sur un certain nombre de thèmes, de la taxe Tobin à la régulation de la mondialisation, en passant par les paradis fiscaux. Il s’est posé à un moment donné la question du débouché politique. C’était une obsession assez courante. Finalement, il n’y a pas eu de parti altermondialiste.

Il y avait l’idée que les mouvements comme Attac mettaient des propositions sur la table et que c’était aux partis de s’en emparer. Ils avaient en tête de changer le monde sans prendre le pouvoir. C’était beau sur le papier, mais leurs buts n’étaient pas très clairs.

L’altermondialisme est encore présent aujourd’hui dans certains débats, mais ne représente plus ce qu’il a pu être auparavant. Et surtout ce n’est pas un parti politique. J’ai l’impression qu’on a un peu la même chose avec les Indignés, les zadistes ou la Manif pour tous. Tous ces mouvements spontanés et assez peu organisés, sans porte-parole – même s’il y en avait à la Manif pour tous – n’arrivent pas à passer l’étape de la politique. Ils appellent à faire de la politique autrement, mais sans trop savoir comment. Donc, ils sont un peu coincés dans une critique du système politique, qui s’ajoute à leur critique économique et sociale. Mais cette critique ne porte pas nécessairement, car ils ne participent pas aux jeux politiques. Et s’ils se transforment en partis politiques, ils se banalisent. Il n’y a donc malheureusement pas eu de cas très concret. Certes, il y a eu de l’entrisme, mais ils n’arrivent pas à peser sur les débats internes, il suffit de voir les positions de Nicolas Sarkozy sur le Mariage pour tous, qui ne vont pas dans leur sens, sans faire de mauvais jeu de mots. Et puis, vous avez parfois des personnalités comme José Bové, qui passent à la politique, mais dans des partis traditionnels.

Ces courants peuvent présenter un double intérêt. Le premier est d’influencer le débat ou en créer de nouveaux. Occupy Wall Street a par exemple lancé le slogan « Nous sommes 99%, ils sont 1% », en parlant des riches. Cela a effectivement lancé un débat aux Etats-Unis sur les inégalités, avec des ouvrages comme celui de Piketty. Ensuite, des leaders peuvent en émerger et ensuite évoluer dans les partis ou les syndicats. Mais jamais plus, même s’il peut aussi y avoir un Podemos, c’est-à-dire un parti qui s’inspire d’un certain nombre de revendications de ces courants. Mais il y a un risque de banalisation. Car quand vous êtes contre le système et les élections, soit vous êtes impuissants, soit vous faites des concessions et devenez un parti comme un autre. Ce sont vraiment les débats qu’il y avait au sein d’Attac, à sa fondation en 1998. Les fondateurs ont voulu être politiques sans être partisans et n’ont réussi à dépasser cette contradiction qu’au moment du référendum sur le TCE de 2005. Là ils pouvaient faire de la politique par voie non électorale et pouvaient donc être comme des poissons dans l’eau. Il est très difficile de vouloir influencer le système sans en être.

Nuit Debout s’inscrit dans les pas de la gauche radicale. Le mouvement peut-il s’inscrire dans la durée et espérer quelque chose pour l’élection présidentielle de 2017 ?

Les Indignés ont duré trois mois. Là, la mairie de Paris a déclaré qu’ils ne pouvaient pas rester au-delà du dimanche 3 avril. Il y a des mobilisations à Lyon, à Marseille et dans d’autres villes. Le climat peut interférer. S’il pleut et fait froid pendant trois semaines, nous pourrons mesurer la volonté de ceux qui désirent passer la nuit debout. Plus sérieusement, le contexte politique, économique et social est favorable au mouvement. D’abord, tant la loi El Khomri, qui est le déclencheur, n’est pas retirée, il devrait y avoir des « veilleurs ».

C’est d’ailleurs ce qu’avaient voulu faire les Veilleurs avec la loi Taubira. C’est un élément de mobilisation des opposants. Et puis, il y a un contexte politique plus générale qui est celui de la présidentielle.

A un moment donné, il est évident que va se poser la question au sein de ce rassemblement d’une primaire à gauche, d’autant que parallèlement Manuel Valls explique dans le JDD qu’il n’y a qu’un seul candidat à gauche, François Hollande. Ça ne va pas nécessairement se politiser, mais des éléments politiques vont apparaître. C’est évident, car c’est contre un gouvernement de gauche et ses décisions qu’ils se mobilisent. Ça pourrait donc aider le mouvement à durer un petit moment, peut-être pas tous les soirs à Place de la République, mais effectivement avec d’autres formes d’interventions. Il y a eu par exemple des interventions de « veilleurs » à une conférence avec Anne Hidalgo. Il va y avoir des choses, comme il y en a eu au moment de l’opposition au mariage pour tous. Après, au-delà de vacances, on passera à autre chose, on entrera dans les pré-campagnes pour la présidentielle. Mais, c’est une autre séquence. Le mouvement est cependant symptomatique d’une forme d’ubérisation de la politique. Même si celle-là est plus orientée gauche radicale, depuis le début d’année de nombreuses initiatives, comme la transmission ou laprimaire.org, véhiculent l’idée qu’il faut se réapproprier la politique et le débat présidentiel, voire avoir un candidat pour remettre en cause le système politique. Nuit Debout s’inscrit un peu dans cette phase-là.

Dans les rassemblements de Nuit Debout, nous avons pu apercevoir Olivier Besancenot ou encore plusieurs cadres du Parti de gauche (PG). Mélenchon trouve l’initiative « formidable ». Une récupération de la gauche radicale pourrait-elle être possible ?

C’est évident. La récupération pend au nez de ce type de mouvements, parce que ça s’inscrit pour certains dans une révolution qui est en train de se produire. Pour d’autres, c’est la révolution qu’ils appellent de leurs vœux, avec un faux air de VIème République. Ils n’attendent pas le grand soir, mais ils pourraient montrer quelques échantillons. Après du côté de ceux qui se rassemblent, ils ne sont pas forcément encartés et pas forcément près à voter pour Besancenot ou Mélenchon.
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