ANALYSES

À Cuba, la rencontre d’un pape et d’un patriarche de toutes les Russies

Presse
15 février 2016
Raúl Castro, préside la République laïque et communiste de Cuba. Cuba selon la Constitution de 1976 est un Etat séparé de l’Eglise. Jusqu’en 1991 les relations Eglise-Etat ont été souvent conflictuelles. Raoul a pourtant reçu le 12 février 2016, deux hôtes insolites, François et Cyrille. François, ou Francisco premier, vicaire du Christ est saint patron des catholiques. Il siège à Rome, Cité du Vatican. Cyrille, ou Kirill, est l’un des deux patriarches de l’orthodoxie chrétienne. Il vit à Moscou, traditionnellement qualifiée de troisième Rome, la seconde étant Constantinople, l’actuelle Istanbul. L’un et l’autre, François et Cyrille, pas plus que leurs prédécesseurs, ne se sont, et ne s’étaient, jamais rencontrés.

Le landerneau des Eglises catholique romaine et orthodoxe russe a signalé le caractère extraordinaire de l’évènement. Un évènement incontestable pour les croyants des deux obédiences séparés pour des motifs de préséance depuis bientôt dix siècles. Rome et Moscou pour ces querelles « allemandes » ne pouvaient être le lieu d’une rencontre sans aucun doute, pour une fois, authentiquement « historique ». Le communiqué conjoint annonçant le 5 février la « bonne nouvelle » éclaire la portée de la rencontre. « Le Saint-Siège et le Patriarcat de Moscou ont le plaisir d’annoncer que par la grâce de Dieu, Sa Sainteté le pape François et Sa Sainteté le patriarche Kirill de Moscou et de toutes les Russies se rencontreront le 12 février ».

Leurs routes se croisaient. François avait prévu de longue date une visite apostolique et officielle au Mexique, du 12 au 17 février. Cyrille était au même moment attendu tout aussi officiellement à Cuba, au Brésil, au Chili et au Paraguay. Les collaborateurs compétents des deux dignitaires ont signalé l’opportunité ainsi offerte d’une étape commune, quelque part entre Cuba et le Mexique. Cuba était du fait de la géographie le lieu prédestiné. François a donc ajouté un arrêt cubain à son périple mexicain. Le vendredi 12 février à 14h il est descendu de son avion sur le tarmac de l’aéroport José Marti de La Havane. A 14h15 il a rencontré dans le salon d’honneur, le patriarche de toutes les Russies. A 16h15 tous deux ont échangé des cadeaux, puis signé une déclaration commune. A 17h après l’audition croisée de discours chacun a repris sa route.

Les esprits laïques, aux antipodes de préoccupations spirituelles qui constituent l’identité première de François et de Cyrille, privilégieront la dimension diplomatique et institutionnelle de ce sommet Est-Ouest si particulier. Tous deux, pape et patriarche, ont il est vrai des préoccupations concrètes partagées. Elles concernent le sort de minorités chrétiennes, orthodoxes comme catholiques, menacées au Proche et au Moyen-Orient. Tous deux ont aussi à ajuster la cohabitation de leurs influences aux confins de l’Ukraine. La défense de leurs fidèles respectifs croise ainsi deux grandes crises qui mobilisent la diplomatie internationale.

Ainsi les objectifs des uns et des autres, hauts responsables religieux et chefs d’Etats, portent sur les mêmes objets de crise. Pour les uns ces crises sont diplomatiques. Pour les autres, bien que portant sur les mêmes lieux, elles sont également religieuses. Ces convergences facilitent les conciliabules les plus divers. A défaut de divisions armées, pape et patriarche ont une influence et un rayonnement universel. Mais le religieux reste au cœur de leur démarche. « Le Saint-Siège et le Patriarcat de Moscou », ont signalé de façon publique, que « cette rencontre marque une étape importante dans les relations entre les deux Eglises. Saint Siège et Patriarcat souhaitent que cela s’entende comme un signe d’espoir pour tous les hommes de bonne volonté. Ils invitent tous les chrétiens à prier avec ferveur pour que Dieu bénisse cette rencontre ». Le baiser de paix entre François et Cyrille a été permis par bien des approches visant depuis quelques années à faciliter l’existence d’un dialogue. En 2012 le Patriarche et le président de la Conférence épiscopale polonaise avaient signé un appel conjoint au pardon pour dépasser les querelles héritées et « aller vers une réconciliation ».

Dont acte. Le sens profond de ce sommet repose sur la nécessité commune de trouver une solution au schisme de 1054. Malgré tout c’est bel et bien l’urgence syrienne et proche-orientale qui a quelque part permis d’organiser cette rencontre. Accompagnée de bien des conciliabules préalables avec les dirigeants du monde. Le pape a multiplié les appels à la paix et à la négociation en Syrie depuis 2013. Il défend la liberté religieuse et la présence chrétienne en Terre sainte. « Nous entendons » a-t-il déclaré, « le cri étouffé et négligé de beaucoup de nos frères et sœurs (..) qui à cause de leur foi au Christ (..) sont publiquement et atrocement tués »». Il a à Sarajevo en septembre dernier signalé sa crainte d’une « troisième guerre mondiale ». Quelque part de façon indirecte cette rencontre interreligieuse des patriarches de Rome et de Moscou, centrée sur la défense des chrétiens d’orient, conforte la recherche d’une solution intégrant Damas dans un compromis au conflit. Avec donc la contribution de Vladimir Poutine qui connait bien les deux pontifes.

Le choix du lieu, La Havane, dans un tel contexte, n’est pas anodin. Certes la Russie n’est pas ou n’est plus l’Union soviétique. Certes Cuba n’est plus un pays affilié au Conseil d’assistance économique mutuel (CAEM) qui a disparu avec l’URSS. Mais au nom de leurs périphéries partagées les deux Etats, Russie et Cuba, ont réactivé une coopération qui n’était pas si lointaine. Ce rapprochement entre un Est et un Ouest religieux avait ainsi toute sa place à La Havane. Proche de Vladimir Poutine le patriarche Kirill est un hôte bien accueilli à Cuba. Tout comme le pape François, le Vatican ayant joué un rôle clef dans le rétablissement récent (en 2015) des relations bilatérales entre Cuba et les Etats-Unis.

Il reste que Cuba est un Etat laïque. Et même athée militant les premières années de la Révolution. Mais depuis la fin de la guerre froide les gestes de bonne volonté avec toutes sortes d’Eglises et de croyances se sont multipliés. Jean-Paul II, Benoit XVI, François Ier, ont visité Cuba. Une cathédrale orthodoxe a été construite. Le président Erdogan a annoncé le financement d’une mosquée. Le sommet chrétien, entre le pape et le patriarche, était donc le bienvenu. Il contribue en effet à la réduction de l’image perpétuant la guerre froide, de pays déstabilisateur, diffusée par certains milieux républicains des Etats-Unis et leurs proches latino-américains.

Ce sommet constituait aussi une aubaine diplomatique pour les autorités cubaines. La rencontre des deux dignitaires chrétiens en effet renforce le profil d’ouverture cultivé par les dirigeants cubains depuis la fin de la guerre froide. Cuba artisan de la paix et du dialogue, en Angola, au Salvador, en Colombie est donc aujourd’hui artisan d’un apaisement des contentieux entre catholiques romains et orthodoxes russes. Toutes choses mettant un baume facilitant les négociations visant à mettre au terme aux mesures d’embargo unilatéral des Etats-Unis. Toutes choses permettant à Cuba et au Saint Siège d’affirmer un horizon diplomatique commun. La Havane et le Vatican ont en partage une vision du monde. Celle de recentrer l’Amérique latine, grâce à une diplomatie d’influence active et imaginative. Comme celle donc à la manœuvre le 12 février 2016.
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