ANALYSES

« C’est humiliant pour la Chine de ne pas être compétitive en football »

Presse
4 février 2016
Interview de Pascal Boniface - Eurosport
Pour Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques, l’arrivée en force de la Chine sur le marché des transferts répond à des ambitions économiques et géostratégiques.

Après Drogba et Anelka il y a quelques années, la Chine a signé son retour en force cet hiver en attirant Gervinho, Ramires et Jackson Martinez. Pourquoi maintenant ?
Cet appétit nouveau vient d’un mix entre une décision politique prise au plus haut niveau et l’arrivée de nouveaux investisseurs sur le marché. Xi Jinping est un président qui aime bien le football et qui voudrait que la Chine arrête d’être ridicule dans les compétitions internationales, puisqu’elle n’a été qualifiée qu’une seule fois en Coupe du monde (en 2002, élimination au 1er tour, ndlr). C’est humiliant pour la Chine, compétitive partout, de ne pas l’être dans le sport universel. De l’autre côté, il y a sûrement des investisseurs qui aiment le football et qui pensent qu’ils peuvent investir là, pour satisfaire leur passion, mais également pour plaire au pouvoir. Ça leur permet de recruter des joueurs entre 26 et 30 ans, au pic de leur carrière et qui ne viennent pas ici comme ils iraient dans les pays du Golfe en pré-retraite.

Les vedettes recrutées dans des championnats repartent souvent en Europe six mois ou un an après leur arrivée. Comment la Chine peut-elle éviter ce mouvement ?
L’enjeu, c’est la crédibilité sportive des clubs chinois. Est-ce que les clubs chinois vont briller dans les coupes asiatiques ? Est-ce que, surtout, il y aura moins de suspicion sur les résultats puisqu’il y a des graves accusations de corruption qui pèsent sur le football chinois ? Le président Xi Jinping a décidé de s’y attaquer, comme dans la société chinoise d’ailleurs. On peut penser que si le niveau du championnat chinois devient réellement compétitif et que les salaires restent élevés, les joueurs viendront pour des périodes plus longues.

203,9 millions d’euros dépensés par les clubs chinois contre 31 pour les clubs français : le championnat chinois a-t-il le pouvoir financier de menacer les championnats européens ?
Selon les chiffres, la Chine est devenu le sixième marché en termes de transferts, derrière les cinq grands championnats européens (Premier League, Liga, Serie A, Bundesliga, Ligue 1). La Chine est le premier pays non-européen en termes de transactions. Cette tendance s’explique par l’augmentation des droits télé puisqu’il y a un opérateur qui va mettre plus d’un milliard pour retransmettre les matches de Super League. C’est plus qu’en France. Il y a là une sorte de développement qui se reflète sur le plan économique. Et si on relève le niveau du championnat, il y a un effet boule de neige sur tout le reste. Mais pour menacer à terme les championnats européens, la Chine devra régler ses problèmes de corruption.

Quid de la professionnalisation du football chinois, encore en friche selon certains ?
Avec les sommes qui sont en jeu, c’est obligatoire qu’elle se matérialise. Il y a déjà deux anciens sélectionneurs du Brésil qui sont entraîneurs là-bas, les structures vont se mettre en place. Cela prendra encore quelques années avant que les résultats puissent être perceptibles. Mais il y a bien une professionnalisation du football et de la façon d’organiser le football en Chine car cela représente un gros marché potentiel. La classe moyenne chinoise est devenue importante et c’est cette classe moyenne qui est visée aussi bien pour les droits TV que pour l’achat de maillots ou la fréquentation des stades.

Si la Chine réussit son développement international, comment l’intégrer, à terme, dans la géopolitique du football actuel ?
Les clubs chinois ne pourront pas participer à la Ligue des Champions mais si le football chinois se développe bien, peut-être qu’il y aura un championnat des clubs qui sera plus disputé et qui sera une épreuve plus importante que maintenant. C’est aussi l’enjeu de l’amélioration de l’équipe nationale, objectif politique, qui doit participer aux phases finales de Coupe du monde. Il y a enfin l’organisation de la Coupe du monde en 2026 ou 2030 par la Chine. Ce n’est pas un objectif clairement affiché mais il est plus que probable qu’elle sera candidate.
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