ANALYSES

La corruption malgré la révolution

Presse
4 février 2016
Selon le classement 2015 de l’ONG anti-corruption Transparency International, avec 38 points, la Tunisie se positionne à la 76ème place (sur 168 pays) en matière de perception de la corruption. Le pays perd ainsi trois places et deux points par rapport à l’année précédente. Non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais elle tend à se dégrader. Il s’agit là de l’une des causes profondes du désenchantement démocratique du peuple tunisien.

La dénonciation de la corruption a été l’une des sources/forces motrices des soulèvements populaires qui ont traversé le monde arabe contre des régimes discrédités par la captation, l’appropriation ou la patrimonialisation du pouvoir politique et économique, par des clans d’essence familiale… Une corruption structurelle synonyme déjà de mauvaise gouvernance sur les plans politique et administratif et de frein au développement économique et social de sociétés arabes. Ce système décadent mêlant corruption et prédation pesait sur la croissance économique, en jouant notamment un rôle de repoussoir vis-à-vis des investisseurs endogènes et étrangers et faisait obstacle à toute répartition efficace des richesses. Partant, les inégalités sociales et territoriales n’ont cessé de se creuser en Tunisie, en Egypte, au Maroc, en Algérie, en Syrie, au Liban… La corruption ne fonctionne pas seulement comme un mode économique d’accumulation des richesses, mais elle offre la possibilité au régime qui l’organise de constituer et d’entretenir le réseau de clientèle qui assure sa pérennité.

Démocratie et vertu sont intimement mêlées. Les Pères fondateurs de ce modèle de gouvernement nous l’enseigne. Selon Montesquieu, « [1]l ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un Etat populaire, il faut un ressort de plus, qui est la VERTU ». Dans cet extrait célèbre de L’Esprit des lois, la vertu est définie comme l’amour des lois et de la patrie, qui exige une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre. C’est ce principe qui fait tenir l’Etat populaire, c’est-à-dire le gouvernement où le peuple en corps a la souveraine puissance, à savoir la démocratie. Montesquieu l’avait donc établie dès 1748 : la démocratie comme « espèce de gouvernement » ne peut tenir que si ceux qui en ont la charge mettent l’intérêt public au-dessus des intérêts particuliers. Rappel saisissant, parce que Montesquieu indique en substance qu’un régime politique (la démocratie) ne peut exister que si son gouvernement respecte au fond une obligation morale : la vertu.

Sans cette exigence morale, la corruption continue de gangréner l’appareil d’Etat, la classe politique et la société elle-même. Si la question de l’éthique concerne tant les responsables publics et économiques, que les simples citoyens, l’adage dit bien que « l’exemple vient d’en haut ». Or les élites nationales ont envoyé au moins deux signaux négatifs en la matière : le projet de loi sur la réconciliation économique et financière, ainsi que le retour aux affaires de personnages impliqués dans nombre de malversations de l’époque Ben Ali. Il est encore temps de retirer le texte et de juger ces hommes. C’est l’esprit de la révolution et le respect de ses martyrs qui le commandent.

[1] Souligné par l’auteur, Montesquieu, De l’esprit des lois, Paris, Gallimard, 2012, pp. 115-116.
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