ANALYSES

Lutte contre Daech : « Il faut trouver des alliés au sol »

Presse
21 janvier 2016
Quel bilan peut-on tirer des bombardements des positions de Daech par la coalition ?
Sur le bilan, il faut raison et mesure garder. Nous sommes dans une guerre asymétrique. Avec d’un côté des forces occidentales qui agissent dans le cadre des lois de la guerre et de leur mandat avec des moyens aériens et qui ne combattent pas au sol. Et d’un autre, l’Etat islamique, qui a moins de moyens, mais une liberté d’action totale avec une grande fluidité tactique au sol, un jour là, un autre ailleurs, et sous des formes différentes. Alors, les coups de marteau qu’on lui donne lui font mal. Mais sur le terrain, l’EI reste insaisissable grâce à sa grande fluidité tactique. Oui, on l’a un peu fatigué mais le bilan reste incertain, surtout quand on voit que l’EI recule à Ramadi mais lance une offensive sur la ville de Deir Ezzor tenue par l’armée arabe syrienne (ndlr : armée officielle syrienne)

Comme une «hydre» qui repousse toujours, selon la comparaison du ministre de la Défense Le Drian ?
Il ne faut pas oublier que l’Etat islamique combat sur trois fronts avec l’objectif de reconstituer le califat, dont la capitale était Damas, sur le territoire de Shâm (ndlr : ce qu’au XIXe siècle on appelait la « Grande Syrie »), comme l’a rappelé le calife Al-Baghdadi lors de son intronisation le 29 juin 2014. Premier front, la Syrie et l’Irak, deuxième front, la communauté musulmane sur l’ensemble du califat supprimé en 1924, et troisième front «Rome», ou l’Occident. En appliquant cette problématique, il se positionne en Etat conquérant, c’est pour cela que je préfère l’appeler Etat islamique que Daech, un Etat islamique qui utilise la religion pour motiver les combattants et encadrer les populations.

Du coup, on reparle de combattants au sol qui restent à former…
Les bombardements ont répondu à une stratégie, maintenir la pression sur l’ennemi et le fixer. La deuxième étape est de mettre sur pied une force aéroterrestre en travaillant avec les alliés locaux au sol. Le ministre britannique de la Défense vient de déclarer : «Il faudrait que nous puissions former des gens au sol en prenant appui sur les différents modérés si nous savons les identifier.» Car on ne sait pas vraiment qui est qui sur le terrain. Or, l’armée irakienne après avoir été vaincue à Mossoul est en train de se reprendre, il faudrait augmenter les moyens de la petite mission française qui s’occupe de leur formation. Les Kurdes sont quant à eux formés par les Français, les Américains, les Britanniques. Et puis bien sûr, l’autre levier qui me semble important, c’est l’armée arabe syrienne, armée officielle sur laquelle s’appuient les Russes.

Mais cette armée, celle du régime d’Assad, est d’accuser d’exactions contre le peuple syrien…
En Syrie, Assad et sa famille ont mis en place ce régime dictatorial mais, à mon sens, l’armée défend surtout sa peau et l’Alaouite de base, pas Assad lui-même. Il ne faut pas renouveler avec elle l’attitude des Américains avec l’armée irakienne. Ils sont entrés dans Bagdad pour renverser Saddam Hussein et mettre fin aux exactions de son régime dictatorial mais, au lieu de mettre en place ensuite un programme de réconciliation nationale, ils ont ensuite licencié une grande partie de l’armée et de la police qui se retrouvent aujourd’hui dans les rangs de l’EI. Il faut travailler avec les Russes sur cette question.

Justement, les Russes sont aussi accusés de bombarder les adversaires du régime plutôt que l’EI…
Il y a un blocage : les Russes n’ont pas la même vision de l’islamisme sur le terrain. Et il faudrait aussi répondre à la question posée par les Russes : dîtes nous qui sont vos alliés et on les évitera. La Jordanie a été désignée pour identifier les groupes mais n’a pas encore rendu son rapport. Cela dit, la France est entrée dans la coalition début octobre après que la Russie soit déjà intervenue. Les Etats-Unis ont intensifié leurs frappes après que les Russes se soient engagés. L’action russe est donc malgré tout comprise et la situation peut s’éclairer.

« Gagner la guerre n’est pas gagner la paix », relève le chef d’Etat major français de Villiers dans une tribune au Monde…
Effectivement, le 25 janvier, les discussions sur la transition en Syrie vont reprendre. Il s’agit de remettre le pays sur pied. Il faut sortir des extrémismes, si Assad est là, je m’en vais, si Assad n’est pas là, je ne discute pas. Il faut évacuer la question Assad pour travailler ensemble.
Au-delà de la dimension militaire, il y a bien sûr d’autres dimensions à explorer avec la politique et la diplomatie. Il faudra ensuite mettre en place un projet de «réconciliation nationale» comme cela a été le cas, par exemple, en Afrique du Sud.

Propos recueillis par Daniel Hourquebie
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