ANALYSES

Amérique Latine: de Chikungunya à Zika l’autre alternance ?

Presse
25 janvier 2016
Les navigateurs de l’Antiquité louvoyaient entre les écueils redoutés de Charybde et Scylla. Les gouvernants actuels d’Amérique latine bataillent en alternance contre un moustique ravageur, porteur de chikungunya et de zika. Cette alternance là en croise une autre, à première vue sans rapport aucun. Le passage de relai électoral de majorités nationalistes à des majorités libérales, d’Argentine au Venezuela.

Chikungunya, Zika, ne sont certainement pas les noms exotiques de quelque nouveau Podemos latino-américain. Il s’agit de maladies transmises par le moustique dit, aedes aegypti. La maladie identifiée en 1952 en Tanzanie a conquis progressivement le monde. Il n’y a pas au jour d’aujourd’hui de vaccin. Les effets de l’infection, forte fièvre, douleurs musculaires, migraines peuvent provoquer le décès des personnes atteintes.

En 2014 l’OMS, (l’Organisation Mondiale de la Santé), l’OPS (l’Organisation Panaméricaine de la Santé) et les ministères locaux de la santé étaient en alerte et mobilisés pour tenter de faire face à l’expansion du virus chikungunya. Caraïbe, Amérique centrale, Amérique du sud avaient en dominos été touchées par l’épidémie. En décembre 2013, la Martinique et Saint-Martin étaient officiellement en état d’alerte. En avril, juin, juillet les premiers malades ont été signalés en Bolivie, au Brésil, en Colombie, à Cuba, en République Dominicaine et au Venezuela.

A la fin 2014 plus de 10.000 cas confirmés avaient été recensés, ainsi que 113 victimes mortelles. Mais on estime à plusieurs centaines de milliers le nombre réel de malades. Un médecin dominicain, José Brea del Castillo, considérait qu’à la fin septembre 2014, au moins 3 millions de Dominicains étaient touchés. Tous les pays et territoires étaient concernés, à l’exception de l’Equateur, du Honduras et de l’Uruguay.

Comble de malheur sanitaire, le même moustique avait la capacité de répandre un autre fléau sanitaire, la dengue. Cette infection insidieusement apparue vers 2010 provoque des symptômes voisins de ceux du chikungunya, mais aussi des éruptions cutanées et des hémorragies susceptibles de provoquer la mort de la personne atteinte. 1.500.000 personnes ont été affectées au Brésil, en 2013, selon des sources officielles. 545 personnes en seraient mortes.

2015 et 2016 ont élargi le champ de nuisance du moustique aedes aegypti. Le virus Zika, qui aurait pourtant une durée de vie assez brève, provoque des malformations fœtales, la microcéphalie, chez les nouveaux nés de mères ayant été piquées pendant leur grossesse. Chez l’adulte il peut occasionner des maladies neurologiques. Il n’y a aucun vaccin connu ici encore, comme pour la dengue et le chikungunya. Le virus a été identifié pour la première fois à Zika en Ouganda, il y a 68 ans. Le premier cas latino-américain a été détecté dans l’ile de Pâques, possession chilienne, en 2014. L’alerte a été donnée au Brésil en raison d’un accroissement insolite des cas enregistrés passés de 150 par an à 3174 en 2015. Les pays voisins du Brésil et l’OPS, ont alors pris conscience de la continentalité du péril. L’OPS, le 1er décembre 2015, a indiqué que 18 pays et territoire étaient concernés, autrement dit la quasi-totalité des Amériques latines. La Colombie annonçait alors 11.000 cas identifiés.

Les campagnes de sensibilisation de la population ont repris. Hier les recommandations visaient à l’assèchement d’eaux stagnantes. Des campagnes de fumigation de zones sensibles ont été effectuées et se poursuivent. Des tentatives de lutte par émission de moustiques leurres transgéniques ont été également engagées. 25 millions de moustiques mâles OGM, « fabriqués » par l’entreprise britannique Oxitec, ont été lâchés à Piracicaba, près de São Paulo. Dans l’attente, d’éventuelles retombées sanitaires positives, on recommande, au Brésil, en Colombie, en Jamaïque, au Salvador, aux couples vivant dans des régions à risque de reporter à des jours meilleurs la conception d’enfants, de porter pantalons longs et chemises à manches longues.

Aedes aegypti n’a donc pas cessé depuis trois ans de provoquer des dommages sanitaires, en dépit d’alertes répétées des organisations intergouvernementales de santé. Les autorités locales ont réagi. Mais l’ont-elles fait assez tôt ?

Le président de la société brésilienne sur la dengue et les arboviroses, Artur Timerman, en réponse aux questions posées par un journaliste du quotidien espagnol, El Pais, a fait un commentaire en partie double. Un, les conséquences de cette maladie pour le Brésil, « sont sans précédent et dramatiques ». Deux, « il est nécessaire de prendre la mesure réelle du problème ». En clair on a trop attendu et cela va coûter plus cher que redouté.
Mais en quoi ces épidémies redoutables auraient-elles quelque chose à voir avec le calendrier électoral des Amériques latines? Cette succession de chocs épidémiologiques a certes croisé une série d’alternances électorales. Qu’on en juge :

En Amérique centrale, au Costa-Rica et au Guatemala, des vainqueurs inattendus ont été sortis des urnes par les électeurs. Non seulement les équipes sortantes ont été sanctionnées, mais les partis traditionnels en attente d’alternance ont été laissés sur le banc de touche. En Argentine le vainqueur de la dernière consultation présidentielle a battu le poulain de la présidente sortante. Et ici encore il porte les couleurs inédites d’un parti de droite, né dans la capitale, arrivé au sommet de l’Etat en écartant les partis traditionnels. Ailleurs au Brésil, au Venezuela, faute de créativité partisane les électeurs ont privilégié la sanction par confusion. Les sortants ont été obligés d’accepter des formes de cohabitation tout à fait inhabituelles.

Aedes aegypti n’a bien sûr rien à voir avec la victoire de Mauricio Macri en Argentine, Luis Guillermo Solis au Costa-Rica, et Jimmy Moralez au Guatemala. Pas plus qu’il a quelque chose à voir avec les désordres institutionnels et parlementaires au Brésil et au Venezuela. Le croisement des alternances politiques et sanitaires est incontestablement fortuit. Il n’y a aucun lien de causalité possible entre l’émergence successive des virus du chikungunya, et du zika, et celle des partis PRO (Propuesta Republicana), en Argentine, ou du Front d’émergence nationale guatémaltèque.

Le lien malgré tout existe quelque part. Ces deux évènements sont en effet révélateurs d’un changement d’époque. Ils reflètent une situation, celle d’une Amérique latine victime d’une suspension d’émergence, qu’elle soit économique, sociale ou diplomatique. Ces deux alternances, la sanitaire et l’électorale, expriment une rupture d’origine parallèle. Les retombées économiques et sociales de la période dorée des années 2000-2010, ont épuisé leurs vertus. L’Amérique latine au mieux fait du surplace économique. Certains pays, le Brésil, l’Equateur et le Venezuela sont mêmes entrés en récession en 2015. L’emploi est en berne. Les programmes sociaux sur la sellette. La grogne sociale a provoqué un vote sanction en domino. L’épuisement des moyens de l’Etat se lit dans sa difficulté à affronter l’aedes aegypti.

Dans les années 1990 l’arrivée au pouvoir d’équipes nouvelles, celles qui aujourd’hui ont été sanctionnées par les électeurs avait également été annoncée par une crise sanitaire aigue, le choléra avait alors fait une réapparition brutale dans toute l’Amérique latine.
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