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Soupçons de matches truqués : pourquoi le tennis est vulnérable face à la corruption

Presse
18 janvier 2016
Si le tennis bénéficie d’une image plutôt positive auprès de l’opinion publique, à la différence du football par exemple, ce n’est pourtant pas la première fois que ce sport est touché par des soupçons de match truqué.

En 2008 par exemple, Nikolay Davydenko, à l’époque numéro 4 mondial, avait été très sérieusement suspecté d’avoir laissé filer un match lors du tournoi de Sopot, en Pologne. Le volume des paris sur sa défaite s’était envolé au cours d’une rencontre qu’il avait fini par abandonner.

Si l’ATP avait aussitôt diligenté une enquête, elle avait conclu un an plus tard « n’avoir trouvé aucune preuve de violation du règlement de la part du joueur », et ce malgré l’ombre de la mafia russe qui planait autour du joueur.

Des soupçons mais pas encore de preuves

Il convient de rester très prudent à ce stade de l’affaire révélée par Buzzfeed et la BBC – aucune preuve n’a pour l’heure été rendue publique, et ce sont les opérateurs de paris en ligne qui ont, il y a plusieurs années, tiré la sonnette d’alarme après avoir constaté des mouvements suspects.

De plus, ces informations liées aux paris ne constituent pas en soi des preuves, mais uniquement des indications qui nécessitent des enquêtes approfondies et difficiles avant de pouvoir condamner un joueur.

Néanmoins, ces accusations journalistiques nous rappellent que plusieurs vulnérabilités fragilisent le tennis face aux phénomènes de trucage. Et celles-ci s’expliquent avant tout par la structure de ce sport.

1. Le tennis est un sport individuel

Pour modifier le cours d’un match en tennis, il « suffit » de corrompre un joueur là où, dans un sport collectif, il faudra en approcher plusieurs, deux ou trois au minimum. Il est donc en théorie plus facile de truquer un match de tennis qu’un match de football.

D’autant que l’encadrement autour des joueurs est également moins étoffé que dans une équipe ou un club de foot, même si l’encadrement des meilleurs joueurs est plus conséquent.

2. Il y a dans le tennis de fortes inégalités

Dans le milieu du tennis, il existe de très fortes disparités entre les joueurs, y compris dans le top 50 ou le top 70.

En 2015, si les gains de Novak Djokovic, le numéro 1 mondial, étaient estimés à 5.993.123 dollars, ils n’étaient « que » de 400.000 dollars pour Viktor Troicki, le 30e au classement, soit une différence de 1 à 15. Si l’on va encore plus loin, le dernier au classement ATP cette année-là, Jimmy Wang, classé 200e, gagnait 130 fois moins que Djokovic.

Ces fortes inégalités, avec une forte concentration des revenus sur les 5 à 10 meilleurs joueurs, peut inciter les autres à chercher à assurer leurs revenus par des pots-de-vin. C’est encore plus vrais pour les joueurs classés au-delà de la 70e place qui, pour certains, peuvent être confrontés à une forme de précarité et d’incertitude financière.

3. Un marché des paris sportifs dynamique

Après le football voire le cricket, le tennis est le sport qui suscite le plus de paris en ligne dans le monde. La structure des matches et son caractère télégénique en font une discipline très prisée des parieurs. Les cotes, de plus, peuvent évoluer après chaque point, les opportunités de parier, notamment en direct, sont donc nombreuses.

Les paris sur le tennis génèrent donc beaucoup d’argent, ce qui attire forcement les convoitises. En 2007 déjà, Novak Djokovic a révélé avoir été approché pour empocher un pot-de-vin de près de 200.000 dollars, prouvant que les criminels pouvaient espérer des gains encore plus importants sur le marché des paris sportifs.

Le marché ayant explosé depuis, on peut légitimement penser que les pots-de-vin sont eux aussi d’une tout autre échelle de nos jours.

4. Le tennis est un sport transnational

Dernier élément faisant du tennis un sport particulièrement vulnérable : son caractère transnational. Le tennis est l’un des sports les moins « territorialisés » au monde. Le circuit est mondial, les joueurs vont d’un tournoi à l’autre, d’un pays à l’autre en permanence.
Il est donc extrêmement complexe de suivre les organisations criminelles qui infiltrent le circuit et même les revenus des joueurs. De ce fait, lutter contre la corruption est donc particulièrement difficile dans cette discipline.

L’ensemble de ces facteurs font du tennis un sport à risque, en dépit de son image plutôt sage. Notons toutefois que l’ATP reste l’une des toutes premières fédérations sportives à avoir mis en place une équipe d’enquêteurs dédiées aux matches truqués. C’était en 2008, au moment de l’affaire Davydenko. L’avenir nous dira s’il y a eu des manquements depuis.

Propos recueillis par Sébastien Billard
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