ANALYSES

2016, une année électorale en Afrique

Tribune
14 janvier 2016
Après l’embellie économique des quinze dernières années, le FMI vient de mettre en garde les dirigeants africains contre les retombées des « puissants vents contraires » annoncés en 2016 pour l’économie mondiale. Confrontés à une baisse des recettes tirées des exportations minières et pétrolières, ainsi qu’à la montée consécutive des déficits budgétaires et de l’endettement extérieur, la plupart des gouvernements vont devoir faire des choix difficiles qui pourraient pour partie amputer les acquis récents en matière d’emplois, d’éducation et de santé, et les mettre en confrontation ouverte avec une jeunesse en nombre croissant et installée dans une légitime revendication de changement. 2016 sera une année charnière, très particulière, avec pas moins de 16 élections présidentielles (17 si l’on compte le second tour des élections en Centrafrique). Au vu de celles qui se sont récemment tenues sur le continent, rien n’empêche de penser que des alternances se produiront comme au Nigeria, que la société civile exercera sa vigilance comme au Burkina Faso ou que les scrutins se feront dans un climat apaisé comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire et en Guinée, même si le réalisme impose de penser aussi que, partout, la redistribution clientéliste l’emportera sur le débat sur les enjeux de société.

Les répercussions de la mauvaise conjoncture seront en fait différentes selon les pays. Dans ceux où la société civile a conquis sa place et où l’opposition est organisée, il est loisible de s’attendre à une réactivation du débat politique. La Zambie (en septembre) et le Ghana (en décembre) devront connaître une vie politique intense, dans un climat de libre parole, mais dans un contexte social dégradé. Dans ces deux pays, l’opposition est en embuscade. Au Ghana, elle devrait profiter de la crise énergétique et économique et des scandales en matière de corruption lors des élections présidentielle et législatives prévues le 7 décembre. Il n’en demeure pas moins que le président John Dramani Mahama et son National Democratic Congress (NDC) bénéficiera de l’avantage du sortant, si tant est que son gouvernement puisse résoudre certains problèmes sur le terrain social et économique.

La question du troisième mandat sera encore d’actualité dans deux pays. Au Congo-Brazzaville, le président Denis Sassou-Nguesso, qui totalise 32 ans de pouvoir (de 1979 à 1992, puis de 1997 à aujourd’hui) a réduit ses adversaires au silence et fait adopter fin 2015 les changements constitutionnels nécessaires lors d’un referendum organisé à la hâte pour se maintenir au pouvoir lors des élections qui se tiendront tout aussi hâtivement au premier semestre. En République démocratique du Congo, Joseph Kabila, 44 ans dont 15 au pouvoir, et son entourage ne veulent pas davantage quitter le pouvoir face à une opposition regroupée au sein du Front Citoyen 2016 mais qui n’a en commun que l’impatience de ses chefs de l’exercer enfin.

Le résultat d’autres élections présidentielles prévues également en 2016 ne fait a priori guère de doute en Ouganda (Yoweri Museveni en février-mars), au Niger (Mahamadou Issoufou en février-mars), au Tchad (Idriss Déby en avril) et à Djibouti (Ismaïl Omar Guelleh en avril). Seul au Bénin où les élections doivent avoir lieu le 28 février, la succession de Thomas Boni Yayi est ouverte, probablement entre l’homme d’affaires Patrice Talon et le franco-béninois Lionel Zinsou, pur produit de la haute finance internationale. Le Bénin s’inscrit parmi les rares pays (Ghana, Nigéria, Sénégal) où le principe de l’alternance peut s’installer dans les pratiques politiques. D’autres pays ont aussi inscrit des élections dans leur calendrier 2016 : Comores (mai), Sao tomé et Principe (juillet), Gabon (août), Cap-Vert (septembre) et Guinée équatoriale (novembre). Reste le cas du Rwanda. Les Etats-Unis se sont dit « profondément déçus » de l’annonce du président Paul Kagamé de son intention de briguer un troisième mandat. Mais ce mécontentement n’aura sans doute aucune traduction en matière de sanctions. Le referendum unanimiste du 18 décembre dernier a entériné la modification de la constitution qui raccourcit le mandat présidentiel de sept à cinq ans à compter de 2024 mais autorise Paul Kagamé à briguer deux mandats supplémentaires, ce qui en théorie prolongerait son pouvoir jusqu’en 2034. Le referendum a conforté l’emprise du président sur le pays.

En 2014, en Afrique du Sud, l’African National Congress a remporté pour la cinquième fois les élections générales avec plus de 60% des voix mais il a réalisé la plus mauvaise performance électorale de son histoire, alors que le principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique, dans laquelle s’est fondue le parti des démocrates indépendants, a progressé et réalisé son meilleur score électoral (plus de 22%, en hausse de 5 points). L’ANC, traversée par des conflits internes, pourrait vivre son année politique la plus difficile depuis son arrivée au pouvoir en 1994. Le parti pourrait perdre des municipalités clés comme Johannesburg, la capitale financière du pays, et Pretoria, la capitale administrative, ainsi que Port Elizabeth dans l’Eastern Cape, le creuset dans lequel de nombreux leaders de l’ANC se sont construits, ce qui aurait des répercussions au plan national et pourrait encourager une nouvelle contestation de l’autorité du président Jacob Zuma, fortement contestée au sein de son parti et dont l‘image est sérieusement ternie aux yeux de ses partisans.
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