ANALYSES

Comment relever le défi terroriste ?

Presse
17 novembre 2015
Vendredi 13 novembre, pour la deuxième fois depuis le début de l’année, le terrorisme a une nouvelle fois frappé en France avec son cortège de morts et de blessés. Au mois de janvier, les actes terroristes avaient ciblé les caricaturistes de Charlie Hebdo et la communauté juive ; cette fois, les terroristes ont frappé de façon totalement aveugle, tuant indistinctement des innocents, des hommes et des femmes de toutes catégories sociales qui étaient réunis pour écouter de la musique ensemble ou pour dîner avec des proches. En outre, le mode opératoire utilisé et la multiplicité des objectifs visés au même moment indiquent un degré de préparation et de coordination nettement supérieur qu’au mois de janvier. Le président de la République, François Hollande, a immédiatement décrété l’état d’urgence ; les écoles, les piscines, les stades, les bibliothèques, les musées ont été fermés au public durant tout le weekend. Un deuil de trois jours a été décidé. Dès le samedi, l’organisation Etat islamique (Daech) revendiquait cet attentat. Le soir même, le Premier ministre rappelait que la France était en guerre contre « l’armée terroriste ».

Dans ce type de situation, il est plus que jamais nécessaire de garder sang-froid et lucidité et, surtout, ne pas tomber dans le piège tendu par les terroristes, dont l’objectif est d’épouvanter, de semer le chaos et d’interdire toute réflexion. Il faut savoir aller au-delà des réflexes, au demeurant compréhensibles, alimentés par le désir de punition, voire de vengeance. Mais, parce que les citoyens et leurs dirigeants doivent collectivement relever ce défi, il faut impérativement exercer notre raison et notre esprit critiques pour analyser les causes profondes qui génèrent de telles tragédies. Tenter de comprendre comment certains individus peuvent en arriver à de si terrifiantes dérives. La réflexion doit alors se porter à la fois sur le démantèlement des réseaux terroristes et sur la situation internationale.

La première priorité est, tout d’abord, de comprendre les conditions pratiques dans lesquelles ont été organisés ces actes odieux. Cela relève des services de renseignement et de police. Les premiers résultats fournissent d’ores et déjà de nombreux éléments permettant de remonter la filière qui a organisé ces actes barbares.

Au niveau international, ensuite, l’impérative nécessité de combattre les mouvances de l’islamisme djihadiste ne doit pas occulter les raisons qui ont permis son émergence. Ces courants politico-religieux, qui veulent s’imposer par la terreur, prétendent commettre leurs crimes au nom de l’islam. La cause principale de cette situation, c’est que nous voyons se cristalliser la ligne de front d’une guerre de civilisations opposant l’Occident à l’islam sous le monstrueux aspect de l’islamisme. Comprenons que les interventions militaires à répétition des puissances occidentales dans le monde arabe et quelques pays africains sont perçues, de facto, comme une politique d’ensemble cohérente par des populations qui en paient souvent le prix fort. Même si chacune de ces interventions peut avoir des raisons particulières, elles ont au final abouti à un résultat unique : l’affaiblissement, voire l’effondrement, des Etats de la région et l’émergence d’un ennemi djihadiste insaisissable. Or, les impasses des guerres actuelles risquent d’en entraîner de nouvelles, plus importantes, et d’alimenter un terrorisme de plus en plus multiforme. Alors qu’il n’existait que quelques foyers réduits de terrorisme il y vingt ans, ils sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux et plus difficiles à combattre. C’est pourquoi il faut prendre conscience qu’il ne sera possible de combattre efficacement les défis terroristes et djihadistes qu’en contribuant à mettre en œuvre des solutions politiques concrètes aux crises multiformes – économiques, sociales, territoriales, politiques – du monde musulman, alors que nous n’en voyons, à tort, que le symptôme islamiste.

C’est en conservant à l’esprit ces éléments essentiels qu’il faut impitoyablement combattre Daech. C’est aussi de ce point de vue qu’il faut mesurer les limites de l’action de la coalition internationale initiée, organisée et dirigée par les Etats-Unis. Les bombardements aériens sont nécessaires mais ils ne sont pas suffisants. Après près de quinze mois de bombardements, le résultat n’est pas à la hauteur de l’ampleur du défi.

Deux priorités s’imposent alors. La première est de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour maintenir l’unité et l’intégrité de l’Irak. Pour ce faire, sans se substituer à elles, il faut convaincre les autorités politiques de Bagdad de renforcer l’appareil d’Etat de façon inclusive en y intégrant toutes les composantes tribales, ethniques et confessionnelles de la société irakienne. La seconde priorité est de multiplier les initiatives pour construire une solution politique permettant de sortir du chaos syrien, en étant convaincu qu’il ne peut y avoir une solution strictement militaire. En ce sens, les conférences organisées à Vienne, même si elles n’ont pas encore permis d’avancer suffisamment et n’en sont qu’à leurs balbutiements, indiquent la bonne méthode. Il est plus que jamais impératif que toutes les puissances régionales, sans exception, soient parties à la formulation d’un compromis politique et négocié. C’est à partir de ces nécessaires avancées politiques que des opérations militaires, mandatées par une résolution de l’ONU, pourront être menées au sol pour combattre Daech et les djihadistes. La reprise de Sinjar ville stratégique située sur la route reliant Rakka, la « capitale » syrienne de Daech, et Mossoul le cœur de son pouvoir en Irak par les milices kurdes indique la voie à suivre et démontre que Daech n’a rien d’invincible.

L’ensemble de ces mesures nécessitent une vision politique de long terme et une volonté inébranlable. Ainsi, deux agendas se télescopent. Celui du démantèlement immédiat du maximum de filières terroristes qui prolifèrent dans nos sociétés démocratiques, par l’action des forces de police et du renseignement. Celui du temps plus long visant à éradiquer Daech et les groupes djihadistes par des moyens politiques et militaires. L’un et l’autre doivent constamment être coordonnés et se renforcer mutuellement. C’est toute la difficulté de cette guerre asymétrique, mais nos sociétés n’ont pas d’autre choix que de la gagner.
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