ANALYSES

Face à l’EI, des moyens limités

Presse
16 novembre 2015
De quels moyens dispose la France pour aller frapper l’Etat islamique ?
En Syrie, Irak ou ailleurs ? Nous avons une très bonne armée qui a été excellente au Mali. Mais maintenant que peut-on faire avec ? Jusqu’à présent, on n’a fait qu’une dizaine de frappes aériennes, plutôt symboliques, qui ont servi à l’El pour justifier ses attentats de vendredi. Si la coalition de 47 puissances a fait plus de 2000 sorties et obtenu si peu de résultats, la France en dépit de son excellente aviation ne peut espérer changer complètement la donne et écraser Daech en Irak et en Syrie à partir du ciel. A fortiori, maintenant que la situation est devenue si compliquée, notamment avec les Russes avec lesquels il faut se coordonner.

Cela veut donc dire qu’on ne pourra pas faire l’économie de troupes au sol…
Aller sur le terrain, je ne crois pas qu’on le fasse car personne n’ira tant que les Américains ne le feront pas. Or, à quatorze mois de la présidentielle, je ne vois pas Obama obtenir un feu vert du Congrès pour envoyer les boys au sol. Surtout après I’ Afghanistan et l’Irak. Les Américains n’y allant pas, je serai très étonné que les Français agissent seuls.

De quels moyens dispose la coalition Internationale ?
On a vu qu’y compris avec les drones, les frappes n’étaient pas très efficaces. A chacune des plus de 2000 sorties aériennes de la coalition, seuls « 2,37 » djihadistes ont été tués. Ce qui fait le mort djihadiste à plusieurs millions de dollars sans véritable résultat stratégique car en réponse 5 autres s’engagent.

De l’air on ne peut rien faire, envoyer des troupes au sol semble irréalisable. Quelle option reste-t-il ?
Que quelqu’un fasse le boulot pour nous. Ce quelqu’un, ce peut être les Kurdes, mais ils n’iront pas jusqu’à Damas. Ce n’est ni leur objectif, ni leur intérêt. Il reste donc les troupes de Bachar, regonflées par le soutien russe, mais qui ont fort à faire face aux djihadistes qui disposent, notamment, de missiles anti-chars fournis par les Américains. On peut aussi imaginer s’appuyer sur les Chiites, mais on entrerait là dans de vrais calculs géopolitiques. Et est-ce que les Chiites vont accepter de faire le travail pour nous? Avec l’appui des Russes, ça va de soi. On peut aussi obtenir de l’Arabie saoudite ou de la Turquie qu’elles coopèrent davantage sans envoyer des troupes se battre.

Coopérer davantage. Mais une partie du problème vient du double jeu joué par ces États ?
Vis-a-vis d’eux, on a été pour le moins complaisant. Mais, concernant la Turquie, on ne peut pas taper du poing sur la table car ils ont une arme de chantage terrible avec les migrants. En Syrie, le ni-ni – ni Bachar, ni Daech – n’a pas mis la France dans la meilleure situation, d’autant moins qu’on a perdu la face après l’épisode des gaz où nous avons renoncé à bombarder après le revire ment d’Obama sur la question. Quant à l’espérance très niaise que nous avons formée concernant l’émergence d’une opposition démocrate modelée, elle n’a pas de sens. Ou les gars se promènent en Europe, ou ils collaborent en Syrie avec le Front al-Nosra, la branche locale d’al-Qaïda.

Comment expliquer ce positionnement ?
Difficile de répondre. Ce qui est sûr, c’est qu’on a fait plein de gaffes en Syrie. Par idéologie, naïveté, par volonté de faire plaisir aux amis de Bernard-Henri Levy ? Je m’explique mal ces choses. Y a-t-il un facteur personnel de Fabius ou Hollande, je ne sais pas. Mais il est difficile de faire marche arrière vis-à-vis de l’opinion.

Mais il y a pourtant des signes de rapprochement via les députés qui se rendent à Damas…
Évidemment, mais cette diplomatie parallèle est un coup à se prendre les pieds dans le tapis. On est embarrassé et je ne suis pas certain que l’on n’ait pas perdu beaucoup du capital sympathie pour notre politique arabe remontant au général de Gaulle. J’ai un peu de mal à comprendre notre politique étrangère.

Doit-on redouter des vagues d’attentats de Daech sur notre sol au fur et à mesure qu’il s’affaiblit ?
Tout a tait d’autant que la France est une ‘bonne cliente ». Pour Daech, l’intérêt stratégique est de contourner l’adversaire en nous « punissant », on l’a vu au Bataclan, pour ce que nous faisons en Syrie. Et pour ce long contentieux rassemblant nos interventions au Mali, l’interdiction de la burqa, « Je suis Charlie », la Révolution française ou Saint-Louis, la liberté accordée aux femmes tout en étant le pays de Hollande, alors, oui, nous sommes une cible de choix pour l’EI.

Si nous frappons Daech plus fort, n’y a-t-il pas un risque de métastases en France ?
Proportionnellement, on n’est pas aussi « fort » que les Belges concernant le nombre de nos concitoyens combattant au côté de Daech, mais numériquement nous sommes les plus importants. Ça pourrait doper les recrutements. II faut aussi redouter les attentats-copies. Je ne suis pas sûr que dans toutes les banlieues, tout le monde partage l’émotion du pays.

Ce risque n’a-t-il pas été accru par l’arrivée massive et sans contrôle de 800 000 à un million de migrants en Europe ?
Ça, c’est le grand tabou idéologique. On a fait des déclarations extrêmement généreuses sur l’accueil des migrants en les présentant tous comme des ingénieurs fuyant Bachar ou Daech. Au début, avancer l’hypothèse que des terroristes puissent se cacher au sein des migrants, était jugé comme étant d’extrême droite. Or l’État islamique avait annoncé qu’il allait glisser des terroristes parmi les migrants. Cette hypothèse prend un peu de vraisemblance avec la découverte d’un passeport syrien à côté d’un corps déchiqueté. Si elle s’avère au final exacte, ça va faire un effet boomerang terrible et une grosse controverse politique.

Mais au-delà, comment faire pour retrouver ces terroristes dans la nature ?
Ça va être extrêmement difficile. Mais cette situation va reposer la question des migrants et créer des divisions politiques au sein de l’Europe. Ça va aussi, outre les questions techniques concernant l’accueil des migrants, susciter une inquiétude sécuritaire.
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