ANALYSES

« Il faut accélérer 
la concertation 
entre toutes les nations »

Presse
16 novembre 2015
Interview de Pascal Boniface - L'Humanité
Comment qualifier la situation après les attentats du 13 novembre ? Doit-on considérer, comme les autorités françaises nous y incitent, que « nous sommes en guerre » ?
Nous sommes dans une situation nouvelle. Tout à fait inédite d’abord par le nombre de morts… Si nous avions connu par le passé des attentats en France, jamais ils n’avaient fait autant de victimes. Par rapport aux attentats de janvier 2015, il y a une organisation beaucoup plus professionnelle, un cran au-dessus en termes de détermination et d’organisation. On a du mal à nommer les choses : pendant très longtemps, nous nous disions qu’il ne fallait pas parler d’« État islamique », que ça aurait été lui donner trop d’importance. Ce que l’on voit quand même, c’est que Daech a une assise, avec une sorte de gouvernement qui exerce l’autorité sur la population sous son emprise territoriale et qui peut, en plus, organiser des attentats à l’extérieur. Dire que nous sommes en guerre, c’est reconnaître à Daech une importance que nous ne voulions pas lui accorder auparavant, mais c’est la réalité… Nous sommes confrontés à une mutation inédite du terrorisme, qui est à la fois déterritorialisé et ancré sur un territoire. C’est tout à fait nouveau, et en même temps beaucoup plus dangereux.

Les autorités françaises mènent des opérations aériennes en Syrie contre des cibles présentées comme menaçant directement notre pays. Ce changement stratégique nous expose-t-il plus ?
Il y avait déjà eu des attentats avant ce changement de stratégie. Ils correspondaient à une amplification de la menace que fait peser Daech. Est-ce que, sans les frappes aériennes, ces attentats n’auraient pas eu lieu ? C’est loin d’être certain ! La France est ciblée comme adversaire depuis longtemps. Par contre, ce qui est sûr, c’est que les frappes aériennes ne suffiront pas à vaincre Daech et que, par ailleurs, une intervention terrestre occidentale serait un piège dans lequel il ne faut pas tomber. Il est probable que la France va augmenter les frappes aériennes. Cela va affaiblir Daech, mais cela ne vaincra pas Daech…

Comment le vaincre, selon vous ?
Si la France faisait, avec les États-Unis ou d’autres, une intervention terrestre, cette coalition pourrait sans doute remporter assez facilement une victoire, mais le pire serait à redouter par la suite car il faudrait occuper militairement le territoire. Or, il nous faut retenir les leçons de la guerre d’Irak. Et à cet égard, ceux qui l’ont soutenue en 2003 sont particulièrement mal placés pour donner des leçons sur la façon la plus efficace de combattre Daech aujourd’hui puisque, comme chacun s’accorde à le dire, cette guerre d’Irak constitue l’acte de naissance de Daech. On sait également que, s’il y avait une intervention en Irak avec l’Iran et des chiites, ça n’arrangerait pas les choses dans la mesure où Daech dispose du soutien d’une partie de la population sunnite… Il faudrait que les pays arabes du Golfe et la Turquie fassent cette opération terrestre pour aller vaincre Daech. Ça serait une solution des sunnites avec un soutien occidental, peut-être. C’est vraiment aux pays sunnites de la région d’être au premier plan. Avec les Saoudiens, par exemple, on pourrait commencer à voir qu’il serait peut-être plus judicieux qu’ils interviennent en Irak et en Syrie plutôt qu’au Yémen.

On connaît les relations commerciales et diplomatiques de la France avec les États du Golfe, souvent suspectés de mansuétude, pour ne pas dire plus, vis-à-vis des terroristes… Notre pays peut-il exiger un changement stratégique de leur part ?
Il faut peut-être s’enlever de la tête que la France ou les Occidentaux pourraient exiger quoi que ce soit des autres, on n’en est plus à cette époque-là. Mais on doit voir notre intérêt commun à une victoire sur Daech. Les pays du Golfe sont aux premières loges, ils ne font pas preuve de mansuétude car Daech a juré leur perte. Il faudrait dès lors accélérer la concertation pour voir comment passer d’une phase de containment à une phase de refoulement de Daech. Nous n’y arriverons que par une consultation entre toutes les nations, cela concerne les pays du Golfe, cela concerne les pays occidentaux, cela concerne la Turquie, la Russie et l’Iran !
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