ANALYSES

Initiatives diplomatiques pour la Syrie : une lueur d’espoir

Presse
3 novembre 2015
Interview de Didier Billion - Zaman France
Si la situation militaire en Syrie ne semble pas connaître d’évolutions significatives, les initiatives politiques et diplomatiques, pour leur part, se multiplient. A ce stade, il est encore trop tôt pour faire des pronostics crédibles sur les modalités de résolution d’une crise qui n’en finit pas, mais il apparaît assez nettement que les positions des camps en présence sont en train d’évoluer.

Le premier constat, c’est qu’en dépit du visible épuisement des forces armées restées fidèles au régime de Damas, aucune des différentes composantes de la rébellion n’est en situation de s’imposer militairement. Même l’organisation Daesh (EI), probablement le groupe le plus discipliné, le plus riche et le plus efficace militairement n’a pas réussi à organiser d’opérations armées significatives et élargir les dimensions du territoire qu’il contrôle.

Après plus d’un an d’opérations aériennes et plus de sept mille frappes contre l’EI, il apparaît que la stratégie poursuivie par la coalition occidentale initiée par les Etats-Unis s’avère un échec. L’intervention militaire russe, certes beaucoup plus récente puisqu’elle a débuté le 30 septembre 2015, ne semble pas non plus en situation de modifier les rapports de force militaires sur le terrain. Terrible constat à propos d’un pays martyrisé qui est désormais une arène mondiale dans laquelle viennent se mesurer puissances régionales et internationales, milices et combattants de toutes origines.

Le bon jeu politique de la Russie

L’entrée en action de la Russie est le dernier rebondissement de la guerre en Syrie et constitue un événement de grande portée dont les conséquences sont à ce stade imprévisibles. Toutefois, il est visible que l’intervention russe a permis d’accélérer la reprise des pourparlers politiques, ce qui constitue une évolution positive. D’autre part, par sa décision, Moscou confirme qu’il détient de nombreux atouts et qu’il est en situation de faire évoluer les positions des parties en présence.

C’est ainsi Moscou qui est à l’initiative de la réunion de Vienne, le 23 octobre dernier, entre la Russie, les Etats-Unis, la Turquie et l’Arabie saoudite. C’est toujours Moscou qui a eu un rôle déterminant dans la convocation de la deuxième réunion de Vienne, le 30 octobre, cette fois en présence de dix-sept Etats. La Russie apparaît actuellement comme le seul acteur capable de parler à toutes les parties au conflit, qu’il s’agisse du président syrien, de l’Iran, des Etats-Unis ou des adversaires les plus farouches du régime de Damas, comme l’Arabie saoudite, la Turquie ou la France. Force est de constater que Vladimir Poutine déploie sa campagne diplomatique avec autant de méthode et de détermination qu’il mène sa campagne de bombardements en Syrie.

Un soutien russe à Assad sous conditions

Dans ce dossier syrien, il serait par trop simpliste de considérer que les postions sont figées. En réalité, chacune des parties possède son propre calendrier et ses objectifs spécifiques. Si, à ce stade, Vladimir Poutine apporte un incontestable soutien au régime de Bachar Al Assad, rien ne serait plus faux de considérer que ce soutien est donné une fois pour toute. L’obsession de Moscou c’est de préserver l’intégrité territoriale de la Syrie et surtout éviter que le régime de Damas ne s’écroule d’un coup, ce qui laisserait la porte ouverte à la prise de la capitale syrienne par les groupes djihadistes. Mais le soutien au dictateur syrien est mesuré.

Lors du sommet de l’Organisation du traité de sécurité collective qui se tenait au Tadjikistan le 15 septembre, Vladimir Poutine a ainsi clairement expliqué qu’il se situait dans la perspective de réformes politiques en Syrie pour parvenir à un compromis. Lorsqu’il convoque Bachar Al Assad à Moscou, le 20 octobre, le président russe évoque des élections transparentes en Syrie. Soutien donc assuré aujourd’hui, mais qui ne sera pas éternel. C’est probablement pour cette raison que divers émissaires de la rébellion syrienne, tels Khaled Khoja ou Haytham Manna, ont été reçus au cours des derniers mois par le ministre des Affaires étrangères russe, Serguei Lavrov.

Pour sa part, le secrétaire d’Etat, John Kerry, concède désormais que le calendrier de sortie de Bachar Al Assad est négociable et que la collaboration avec la Russie et l’Iran est nécessaire, ce qui confirme que le président états-unien n’a toujours pas, pour sa part, l’intention de se placer en première ligne dans le chaos syrien. Barack Obama refuse, avec une certaine constance, une ligne politique aventuriste que constituerait un changement brutal de régime à Damas sans avoir préalablement élaboré de solution de continuité. Position assez sage au vu des multiples déboires de la politique menée par les néo-conservateurs états-uniens dans les années qui ont précédé son arrivée à la présidence.

La France reprend-elle ses esprits ?

En réalité, ce sont les Etats qui, jusqu’alors, étaient les plus radicaux, qui sont obligés de modifier substantiellement leur position. Ainsi, la France qui, durant des mois, s’est refusée à effectuer des bombardements contre des positions de l’EI situées sur le sol syrien, au prétexte qu’elle craignait, ce faisant, de renforcer le régime de Damas, y recourt désormais, bien que de façon limitée.

En réalité, Paris craint de se retrouver marginalisé dans le jeu des négociations internationales si elle maintient ses positions jusqu’au-boutistes consistant à exiger le départ de Bachar Al Assad en préalable à toute négociation. Les responsables français ont enfin compris que cette position n’était pas tenable et que la question du sort du dictateur syrien ne pourrait se poser que dans le cours ou à la fin du processus de négociations. Les participants au sommet de Vienne du 30 octobre se sont de facto placés dans cette perspective.

Une mince éclaircie d’espoir

En dépit des fortes divergences qui bien sûr persistent, la possibilité est née de voir un véritable processus de négociation enfin débuter. La présence de l’Iran pour la première fois à ce type de rencontre sur le dossier syrien, pour échanger avec les Saoudiens et quinze autres pays, ainsi que l’Union européenne et l’Organisation des Nations unies est un indicateur positif. Les participants se sont entendus sur plusieurs points (respect de l’intégrité et de l’unité de la Syrie et de ses institutions, perspective de relance des négociations entre les autorités de Damas et les groupes d’opposition non djihadistes, perspective d’organisation d’élections…).

A contrario, l’incertitude reste, pour l’instant, totale sur l’après-Bachar Al Assad et le type de coalition politique possible. Comme l’a déclaré Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères français, en dépit de la persistance de profonds désaccords les avancées sont suffisantes pour qu’un prochain sommet, avec les mêmes participants, ait été planifié dans un délai de deux semaines. Il serait totalement déraisonnable de penser qu’une solution politique est possible à court terme, une ténue lueur d’espoir est toutefois perceptible.
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