ANALYSES

Mensonge, « com » et information

Presse
27 octobre 2015
Le géopolitologue Pascal Boniface et le sociologue Michel Wieviorka s’insurgent de la place que le mensonge a pris dans le débat public. « Les régimes autoritaires et dictatoriaux sont basés sur lui, il y constitue un élément de leur survie. Mais en démocratie, il ne devrait pas être toléré. D’ailleurs, il n’a pas sa place, concrètement, dans d’autres pays démocratiques que le nôtre. »

Nous n’acceptons pas que le mensonge et la vérité soient mis sur un pied d’égalité. Or il y a aujourd’hui une impunité pour le mensonge utilisé comme élément du débat, comme si mentir n’était pas grave. Il est possible de le faire de façon outrancière pour influencer l’opinion sans en subir de conséquences négatives, même si le mensonge est avéré et rendu public. Les régimes autoritaires et dictatoriaux sont basés sur lui, il y constitue un élément de leur survie. Mais en démocratie, il ne devrait pas être toléré. D’ailleurs, il n’a pas sa place, concrètement, dans d’autres pays démocratiques que le nôtre. Voilà une singularité française dont nous ne pouvons pas être fiers. Les manquements à la vérité et à l’intégrité altèrent le débat, trompent l’opinion et favorisent la démagogie et la coupure entre les élites et les citoyens.

La communication prend le pas sur l’information. Plus grave encore, la communication devient contradictoire avec l’information. Comme moyen de faire connaître un événement, un fait, une idée, une personne, un mouvement, une collectivité, ou même un produit, elle est parfaitement légitime. Mais, de plus en plus, la « com » sert non pas à informer le public, mais à l’induire en erreur, non pas à montrer la vérité, mais à l’enjoliver, la pervertir ou la cacher. Pour faire triompher quelque chose qui n’est pas vrai, elle vient trop souvent au secours du mensonge. Plus le manquement est grave, plus elle vise à le rattraper ou à l’occulter. Communiquer revient alors à manipuler, à montrer l’arbre qui cache la forêt, et non celui qui la symbolise. Une « communicante » importante a pu dire : « La vérité n’est pas mon sujet ». La vérité est le sujet des chercheurs en sciences sociales, universitaires et également des citoyens. Mais moins l’intérêt général est défendu, et plus la « com » masque la réalité des intérêts privés qui sont en jeu. On compte aujourd’hui en France plus de communicants que de journalistes. Et le mouvement va s’accentuer.

Dans un monde post guerre froide et à l’ère de la globalisation, l’information sur les autres est à la portée de tous. On aurait pu espérer que cela débouche sur une plus grande acceptation des différences et de l’altérité. Il n’en est rien et l’on voit au contraire monter la xénophobie et le racisme, y compris dans des sphères politiques, médiatiques et intellectuelles en principe respectables. L’islam est présenté alors exclusivement comme une menace et les musulmans sont assimilés à un danger remettant en cause le pacte national français. Principales victimes du racisme, ils ne sont pas les seuls, la défiance, voire l’hostilité mutuelle accompagnent la fragmentation de la société. Un débat, des débats : oui, bien sûr. Mais basés sur les faits, sur des arguments, soumis au test de la réalité, adossés aux connaissances qu’apportent les sciences sociales de façon à dissiper les idées reçues, les à-peu-près et les préjugés, à contrer le mensonge et à remettre la communication à sa place.