ANALYSES

Géopolitique, Méditerranée et « choc des civilisations »

Presse
15 octobre 2015
Espace d’échange, d’intersection et d’hybridation entre des cultures et civilisations, la Méditerranée est aussi traversée par des lignes de clivage et autres antagonismes. Des courants idéologiques se focalisent sur ces fractures pour mieux les entretenir et les approfondir. C’est ainsi que néo-conservateurs occidentaux et islamistes salafo-djihadistes tentent de réduire la Méditerranée à un théâtre du « choc des civilisations »*.

Les mouvements identitaristes prônent le cloisonnement des cultures, des religions et des civilisations pour mieux raviver les tensions séculaires. Ces crispations identitaires expriment des fractures préexistantes, la résurgence d’épisodes de la mémoire historique pour justifier les visions essentialiste et séparatiste des peuples de la Méditerranée, et tenter de masquer des enjeux géopolitiques plus traditionnels : conquête de territoires, de richesses, du pouvoir.

La facilité rhétorique consiste à cristalliser l’analyse géopolitique de la Méditerranée sur l’opposition fantasmée entre islam et Occident, Juifs et Arabes, sunnites et chiites, entre croisade et djihad, etc. Cette vision simpliste l’emporte aujourd’hui. Pourtant on ne saurait analyser les tensions et conflits à travers la seule grille de lecture religieuse ou confessionnelle. En réalité, celle-ci est invoquée par les puissances pour masquer les stratégies de puissance et logiques d’intérêts. C’est pourquoi l’allié d’hier peut devenir l’ennemi d’aujourd’hui. Ainsi, à l’époque de la guerre contre les forces soviétiques en Afghanistan (1979-1989), le président américain Ronald Reagan avait érigé les moudjahidines djihadistes en « combattants/alliés de la liberté »…

La montée de l’intégrisme islamique a coïncidé avec la quête d’un nouvel ennemi stratégique et symbolique en Occident. Partant, la critique de l’islam(isme) s’est substituée subrepticement à la critique du communisme. L’islam est devenu aux Etats-Unis comme en Europe un problème de politique étrangère, mais aussi une question de politique intérieure. La présence musulmane étant perçue à la fois comme une menace sécuritaire et identitaire.

Au-delà du cercle des politiques et autres « intellectuels médiatiques », cette tendance se vérifie parmi les géopoliticiens. Nul besoin ici de revenir sur le cas d’Aymeric Chauperade (désormais député européen du Front national). Plus significatif est le cas de la figure tutélaire de la nouvelle école française de géopolitique, Yves Lacoste, qui conclut son ouvrage sur la « Géopolitique de la Méditerranée » (2006) par ces propos édifiants: en France, les dirigeants islamistes ont pour objectif stratégique de regrouper les populations musulmanes  » sur des territoires restreints, dans des quartiers réservés aux musulmans et où ils seront majoritaires, sous contrôle des imams.

C’est pourquoi on peut considérer que la concentration des populations immigrées et de leurs enfants dans certains quartiers urbains ne correspond pas seulement au jeu du marché immobilier, mais résulte d’une véritable stratégie géopolitique dont il importe de prendre conscience des dangers. Cela pose en vérité et au premier chef le problème géopolitique de la Nation » (p. 471)…

* Béligh NABLI, Géopolitique de la Méditerranée, Armand Colin, 2015.
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