ANALYSES

Chantage au roi du Maroc : Mohamed VI doit permettre l’élan démocratique de son pays

Presse
12 septembre 2015
L’actualité récente du Maroc, avec la mise en examen de deux journalistes français par un juge parisien, nous rappelle la singularité d’une relation dont l’enjeu dépasse largement le cadre diplomatique traditionnel.

Après les révélations, avérées ou non, la justice dira ce qu’il en est : les débats, les prises de position et les polémiques de part et d’autre de la Méditerranée soulignent l’imbrication des référents et également la confusion des valeurs. On ne peut à la fois se réclamer de l’universalité et souligner en permanence les différences du Maroc.

C’est une constante des élites politiques françaises, qui perçoivent ce pays comme un fantasme oriental dont l’histoire se serait figée en 1912 (début du protectorat français).

Une administration toute puissante

Pour qui se rend régulièrement dans le royaume, il est difficile de nier la réalité des changements visuels (équipements collectifs, routes et autoroutes ou écoles) et il reste beaucoup à faire. Ce qui est moins visible et nécessite le temps de l’immersion, c’est l’évolution de la société, notamment des nouvelles générations, dans leur rapport au Maroc.

Le roi n’est pas un sujet de conversation courante, en revanche l’arrogance, le mépris, la corruption, le clientélisme et la mauvaise gouvernance, sont des préoccupations quotidiennes. Chacun est confronté à une administration toute puissante et arc-boutée sur ses prérogatives. En ce sens les Marocains réclament plus du souverain, ils veulent qu’il s’implique davantage dans la mise en œuvre des réformes, ce qui est légitime. Les marcheurs du mouvement du 20 février ont bien compris qu’aucun régime politique ne se démocratise spontanément.

Un roi attaché aux traditions, mais…

Les importantes manifestations et les mobilisations de l’hiver 2011 provoquent un vent de panique dans les cercles du pouvoir. Rappelons qu’en Tunisie, Benali a été emporté en quelques semaines, avant que son homologue égyptien ne soit destitué par l’armée. Très vite, Mohamed VI prend la mesure des revendications et annonce une grande consultation et des réformes constitutionnelles.

C’est là que réside la singularité marocaine de ce début de XXIe siècle, un monarque attaché à la tradition, mais capable de réagir et de reprendre l’initiative lorsque le pacte national est menacé.

L’institution monarchique est à la fois une institution d’arbitrage et le creuset de l’identité de la nation. Dans leur majorité, les Marocains adhèrent à ce concept, toutefois il serait hasardeux de penser que les choses sont acquises. Les bouleversements que nous visons depuis 5 ans dans le monde arabe montrent que les peuples sont capables de se réapproprier leur histoire.

Dans ce contexte qu’en est-il du roi, de ses pouvoirs, de sont statut de Commandeur des croyants et de sa popularité ?

Mohamed VI, entre avantages et responsabilité morale

Si le roi a très vite perçu que les marcheurs du 20 février ne défilaient pas contre lui et qu’ils disaient tout haut ce que beaucoup de Marocains pensent tout bas, dans le Royaume les marcheurs n’ont pas lancé « Dégage » au monarque.

Naturellement les intermédiaires et les courtisans sont toujours à l’affût pour se préserver et se maintenir. La question est de savoir si les institutions intermédiaires sauront accepter des médiateurs émanant de la société, les plus légitimes pour éviter les confrontations avec l’État.

Depuis quelques mois, on observe des crispations sécuritaires sur les journalistes ou les militants des droits de l’homme. Ce sont de mauvais signaux. Là encore, posons la question de savoir si cela remet en cause l’essence des réformes engagées.

Même si elles se font sous contrôle, les évolutions sont indispensables à la prospérité du Maroc et à son enracinement dans la démocratie. Rien de plus efficace qu’une société alerte et éclairée pour garantir l’avenir. C’est l’intérêt de tous, y compris des plus conservateurs. L’autre hypothèse serait dramatique et n’apporterait que confusion dans un Maghreb déjà bien malmené.

Si Mohamed VI dispose de quelques atouts qu’il a utilisés avec habileté, il ne doit pas négliger l’effet de seuil au-delà duquel aucun être humain ne peut supporter l’injustice. Son statut de Commandeur des croyants lui confère de grands avantages, mais également une grande responsabilité morale.

La sacralité du souverain n’est pas intouchable

La Commanderie des croyants, la sacralité du roi et l’immunité des dahir et décrets royaux (non susceptibles de recours pour excès de pouvoir), qui figurent dans toutes les constitutions adoptées depuis 1962, sont autant de privilèges royaux et politiques, et apparaissent pour l’heure intouchables. Alors qu’ils sont ouvertement discutés dans la rue, ce qui constitue une nouveauté assez radicale compte tenu de la tradition marocaine.

En revanche, la sacralité de la personne souveraine n’est pas forcément gravée ad vitam eternam dès lors que son inviolabilité est, à l’instar des monarques européens, garantie.

Au-delà de ces données fondamentales du substrat culturel c’est sur le terrain du développement et de la justice sociale que se joue vraiment l’avenir du Maroc.
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