ANALYSES

Quelle politique française au Moyen-Orient ?

Presse
22 septembre 2015
Depuis 1993, se réunit, au cours de la dernière semaine du mois d’août à Paris, la traditionnelle conférence des ambassadeurs, rebaptisée cette année «semaine des ambassadeurs», qui rassemble tous les ambassadeurs français, principaux responsables de la mise en œuvre de la diplomatie du pays. Tous les ans, c’est le président de la République qui ouvre les débats par un discours, théoriquement destiné à fixer le cadre de la politique extérieure de la France. C’est donc la quatrième fois que François Hollande s’essaie à l’exercice. Malheureusement, une fois de plus, ce discours manquait singulièrement de priorités et était en réalité plus une suite d’observations et de remarques générales sur l’état du monde qu’une véritable feuille de route pour les diplomates réunis.

Hollande est parvenu à décrisper les relations avec plusieurs pays

François Hollande n’a pas cherché à livrer une vision globale du monde car il ne veut pas être enfermé dans un cadre conceptuel et préfère agir au cas par cas. Un tel pragmatisme, érigé en système, induit un véritable danger : celui d’être à la remorque des multiples événements de la scène internationale, sans capacité d’anticipation.

En outre, une telle posture ne permet guère de susciter l’adhésion à la politique de la France au-delà de ses frontières, même s’il faut reconnaître à François Hollande d’être parvenu décrisper les relations avec plusieurs pays que l’agressivité provocatrice de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, avait considérablement détériorées. On peut par exemple penser à la Turquie, à l’Algérie, au Mexique, au Brésil, au Japon ou à la Chine.

Si, sur d’importants dossiers qui ont marqué l’actualité au cours des derniers mois, le Mali et l’Ukraine notamment, l’action du président de la République a globalement permis de faire baisser les tensions, le bilan de la politique française au Moyen-Orient laisse pour le moins dubitatif. Sur les grands dossiers de la région, François Hollande semble en effet s’éloigner des fondamentaux de la politique extérieure de la France.

L’évolution notoire de la politique française sur le dossier israélo-palestinien

On se souvient, en premier lieu, des positions du gouvernement français lors de l’agression israélienne contre la bande de Gaza au cours de l’été 2014. Le président de la République avait alors choqué par la publication d’un communiqué, le lendemain des premiers bombardements, qui indiquait : «Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger la population face aux menaces», donnant ainsi un blanc-seing à la barbarie israélienne, ne prononçant même pas un mot sur les victimes palestiniennes de ces bombardements. Dans les jours qui suivirent, l’interdiction à répétition de manifestations de solidarité avec le peuple palestinien indiquait assez clairement le soutien du gouvernement français à son homologue israélien.

Changer de ton tout en ménageant Israël

Il fallut attendre le 4 août – alors qu’il y a déjà plus de 1 800 morts, 10 000 blessés, en grande majorité civils, trois attaques contre une école de l’ONU transformée en refuge par les habitants de Gaza, etc. – pour qu’enfin, le gouvernement français change de ton à l’égard de l’Etat hébreu.

Dans un communiqué, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, dénonce «ce qu’il faut appeler un carnage» en précisant que le droit à la sécurité d’Israël «ne justifie pas qu’on tue des enfants et qu’on massacre des civils». Il évoque aussi «une solution politique […] qui devra être imposée par la communauté internationale, puisque les deux parties, malgré d’innombrables tentatives, se sont malheureusement montrées incapables d’en conclure la négociation».

L’évolution était notoire mais arrivait bien tard. Depuis lors, Laurent Fabius tente en effet de mettre en place un groupe de soutien qui comprendrait le Quartette (Etats-Unis, Russie, Union européenne, ONU) et les pays arabes acceptant de s’impliquer dans ce processus, tout en continuant à ménager Israël, pourtant unique responsable de la détérioration de la situation du peuple palestinien. C’est donc bien l’application du droit international, de tout le droit international, qui permettrait enfin de débloquer la situation, mais il ne semble pas que ce soit véritablement la ligne politique incarnée par le président français.

Plusieurs fois, la France a risqué de faire échouer des efforts diplomatiques

Le deuxième dossier important des évolutions régionales se concentre sur le Golfe arabo-persique, la réintégration de l’Iran sur la scène internationale et la relation avec les monarchies arabes du Golfe. Nous savons que la France a posé beaucoup de conditions à la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, finalement heureusement conclu au mois de juillet 2015.

A plusieurs reprises, l’intransigeance française risqua de faire échouer les efforts diplomatiques déployés depuis de nombreux mois. On se souvient par exemple qu’en novembre 2013, alors qu’un compromis élaboré par l’Iran et les Etats-Unis semblait pouvoir être signé, la France, par la bouche de Laurent Fabius, s’y opposa fermement. Les adversaires d’un compromis avec l’Iran ne s’y trompèrent d’ailleurs pas, puisque les conservateurs et les néoconservateurs états-uniens, les responsables israéliens et les dirigeants saoudiens félicitèrent alors immédiatement Paris.

L’interlocuteur privilégié des monarchies pétrolières

Les raisons de cette posture sont nombreuses : affirmer une nouvelle fois sa fonction de «gardien du temple» de la non-prolifération nucléaire ; afficher la volonté de plaire aux dirigeants de Tel-Aviv ; renforcer les relations politiques et commerciales avec l’Arabie saoudite, elle-même très hostile à la République islamique d’Iran ; tenter de se venger de Barack Obama pour avoir laissé la France isolée dans sa gestion de la crise des armes chimiques syriennes au cours de l’été 2013 ; illusion de s’affirmer comme une puissance centrale au Moyen-Orient au moment où les Etats-Unis semblent relativiser cette région parmi leurs priorités. Mais, au vu des enjeux considérables du dossier nucléaire iranien et de la perspective de réintégrer l’Iran dans le jeu des relations internationales – ce qui contribuerait à faire considérablement baisser les tensions au Moyen-Orient -, cela ne constitue pas une politique digne de ce nom.

La multiplication des contrats économiques et des gestes de bonne volonté et l’invitation exceptionnelle de François Hollande au sommet extraordinaire du Conseil de coopération du Golfe, le 4 mai 2015 à Riyad, le soutien français à l’agression de la coalition arabe contre le Yémen symbolisent cette volonté de Paris de se poser en interlocuteur privilégié des monarchies pétrolières. Il n’est aucunement choquant que la France approfondisse ses relations économiques et politiques avec ces dernières, mais la politique extérieure d’un Etat n’est pas un jeu à somme nulle et cela ne doit pas se faire au détriment de la mise en œuvre d’un rapprochement avec l’Iran.

La ferme position anti-Assad de la France

Enfin, le troisième dossier important concerne la Syrie. Nous savons que depuis maintenant plus de quatre ans, les autorités politiques françaises ont une position très tranchée de soutien à l’insurrection, dite modérée, et ne cessent d’exprimer leur volonté de faire tomber le régime de Bachar Al-Assad.

Ainsi, jusqu’à ces derniers jours, la France, qui depuis un an participe activement à la coalition militaire anti-Daech dirigée par les Etats-Unis, bombardait les positions de l’organisation djihadiste en Irak mais refusait de le faire en Syrie, au prétexte que cela aurait pu renforcer le régime syrien. Lors de son discours aux ambassadeurs, François Hollande rappelait encore la nécessité de «neutraliser» Bachar Al-Assad.

Trouver une politique réaliste pour trouver une solution à la crise syrienne

Toutefois, on peut constater ces derniers jours un indéniable changement de cap sur la Syrie, puisque, lors de sa conférence de presse du 7 septembre, le président de la République annonçait que l’aviation française avait désormais ordre de procéder à des missions de reconnaissance des positions de Daech en Syrie, prélude à de potentiels bombardements. Une semaine plus tard, le même président annonçait que la France allait procéder à ces bombardements.

Cette inflexion de la politique mise en œuvre par la France a été rendue nécessaire par l’évolution des rapports de forces sur le terrain syrien lui-même. Malgré les nombreuses déclarations de responsables politiques français expliquant que le régime de Bachar Al-Assad allait tomber très rapidement, ce dernier, même si très affaibli, reste en effet toujours en place. Et, s’il est partie au problème, il est aussi partie à la solution de la terrible guerre qui ensanglante quotidiennement la Syrie. On peut donc souhaiter que Paris, même si il est déjà tard, en revienne à une politique plus réaliste et comprenne l’impérative nécessité de parvenir à une solution politique de la crise syrienne incluant tous les acteurs régionaux et internationaux, la Russie et l’Iran notamment.

Un manque de cap ferme

On le constate par ces quelques exemples, la politique de la France à l’égard du Moyen-Orient est souvent sujette à caution et manque d’un cap ferme capable de se projeter sur le moyen terme. Pourtant, au vu de la complexité des enjeux régionaux, il est plus que jamais nécessaire de se doter d’une vision d’avenir pour ne pas céder à une politique dictée par l’émotivité et être en permanence soumis à l’enchaînement rapide des événements. C’est à ce prix que la France sera susceptible de peser positivement sur les évolutions de la région moyen-orientale.
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