ANALYSES

Brésil : « Dilma Rousseff ne s’en ira pas »

Presse
16 août 2015
Interview de Christophe Ventura - L'Obs
La cote de popularité de Dilma Rousseff est en chute libre. Sept mois après sa réélection, seulement 8% de la population a une opinion favorable envers sa politique, et 66% des Brésiliens interrogés souhaitent qu’une procédure de destitution soit engagée à son encontre. Comment expliquez-vous cette situation ?
Il faut être prudent, au Brésil plus qu’ailleurs, avec l’industrie de sondage. La vie médiatique est une véritable arène politique. Et la plupart des médias affirment un engagement contre le gouvernement de Dilma Roussef.
Cependant ce sondage traduit quelque chose de réel qui est la crise politique au Brésil. Le vrai problème du gouvernement aujourd’hui est l’héritage de la politique de Lula, ancien Président. Ses deux mandats ont été marqués par des progrès sociaux et démocratique significatifs, 40 millions de brésiliens sont sortis de la pauvreté. Le niveau d’enrichissement social ne cessait de croître.
Alors qu’aujourd’hui cette tendance s’effrite, et les effets de la crise économique sont palpables. Le ralentissement de la croissance chinoise et la baisse du cours des matières premières a eu des conséquences lourdes pour l’économie brésilienne. En effet, elle est largement dépendante de l’exportation de matières premières et la Chine était son premier partenaire.

Les contestations ne sont pas seulement populaires, mais aussi politiques. Deux partis ont déjà quitté la coalition de centre gauche de Dilma Rousseff, est-ce une crise interne à sa majorité ou une véritable crise politique ?
La crise économique est indéniablement l’objet d’une bataille politique. On ne peut pas dissocier la situation politique de la situation économique. Dilma Rousseff mène une politique libérale de rigueur, voire d’austérité. Ces choix lui font des ennemis des deux côtés de l’échiquier politique. Pour la gauche, ces choix sont trop ‘austéritaires’ et pour la droite elle ne va pas assez loin dans la politique de rigueur. Elle est prise entre ses deux oppositions.
Ces contestations font aussi échos aux nombreuses affaires de corruption qui ébranlent le gouvernement et les proches de Dilma Rousseff.
En effet, le système politique est majoritairement financé par le secteur privé à hauteur de 80% à 90%. Cette situation gangrène la vie politique.

Le ras-le-bol général des Brésiliens face à la corruption, à la crise économique et politique se fait largement ressentir. Une nouvelle manifestation aura lieu dimanche 16 août pour appeler à la destitution de la présidente. Dilma Rousseff peut-être destituée ?
Il n’y a pas que des manifestations de contestations. Le 20 août prochain, les mouvements sociaux organisent une journée de soutien à la démocratie et au gouvernement.
Elle demande une majorité qui est très difficile à mobiliser et ne fait pas l’unanimité au sein des partis de droites. De plus, les milieux d’affaires et les milieux financiers sont très peu intéressés par une ‘crise constitutionnelle’. Cela amènerait une situation trop instable de crispation politique. Ce que les milieux d’affaires souhaitent de Dilma Roussef, c’est qu’elle abandonne la dimension ‘gauche’ de sa politique et qu’elle mène une politique en adéquation avec leurs revendications.
Même si elle est contestée, Dilma Rousseff ne s’en ira pas d’elle-même. Ce ne sont que des spéculations, elle a été élue de manière légitime.

Les milieux politiques et financiers bénéficient d’une forte influence, et ont des moyens de pressions sur le gouvernement. Qu’en est-il des mouvements contestataires ? Comment peuvent-ils être entendus et être influents à leur tour ?
Ils font entendre leur voix lors de journée de mobilisation comme dimanche prochain en occupant la rue. Ils espèrent faire avancer leurs revendications, et créer de nouvelles fractures au sein de partis politique pour affaiblir Dilma Rousseff. Ils réclament une refonte générale de la vie politique et se mobilisent pour repenser profondément le système politique brésilien.
Les mouvements populaires de gauche sont très importants au Brésil, ils ont donc assez d’influence pour faire entendre leur voix. Ils contribuent à la contestation politique dans la mesure où ils critiquent la politique de Madame Rousseff qui ne respecte pas le programme pour lequel elle a été élue.
Ils sont, de plus, très attentif à l’action et la position de l’armée. Avec le coup d’état en 1964 et la restauration démocratique relativement récente, il y a de ça 30 ans, les forces de gauche font attention aux liens qui peuvent exister entre la droite et l’armée.
Il y a une réelle polarisation de la vie politique au Brésil qui s’accroit, pèse sur la vie politique, et sur Dilma Roussef aujourd’hui à la tête du pays.

Quelles sont, alors, les perspectives pour Dilma Roussef ?
Elle subit de fortes pressions autour d’elle en ce moment. L’objectif des partis de droite est d’obliger Madame Rousseff à mettre en place la politique qu’ils soutiennent, et d’éviter un nouveau mandat de Lula. La popularité de l’ex-président n’a jamais été aussi grande, il y a de forte chance qu’il se représente en 2018. La droite veut empêcher cela.
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