ANALYSES

« Erdogan est dans une forme d’autisme politique »

Presse
1 septembre 2015
Interview de Didier Billion - Zaman
Comment comprenez-vous cette intensification de la répression contre la presse turque ?
Ce n’est que la confirmation que ce qui est à l’oeuvre en Turquie : la presse est de moins en moins libre. Les pressions se multiplient, toutes les sensibilités politiques sont concernées.
Autrefois, c’était Cumhurriyet pour l’affaire des camions turcs chargés d’armes en partance vers la Syrie, aujourd’hui c’est Bugün. La situation générale est une fuite en avant politique de la présidence qui concerne la presse, mais aussi la vie politique.
Les négociations pour un gouvernement de coalition n’ont pas abouti, le jeu était fait d’avance, le pouvoir n’en voulait pas. Il n’a même pas sollicité le CHP [principal parti de l’opposition en Turquie, ndlr] comme le prévoyait la Constitution turque.
La répression est réelle contre la presse, Erdogan prend de plus en plus de liberté contre la Constitution. Enfin, l’objectif des opérations militaires depuis juillet contre le PKK est de rameuter l’électorat nationaliste. L’Etat de droit n’existe plus.

La Une de Bugün montrait des photos de Turcs livrant des armes à des miliciens de Daesh. Comment comprendre cette obstination du pouvoir turc à maintenir une connivence avec Daesh qui demeure une menace ?
Sur Daesh, certains ont hésité à parler de complicité. Je préfère parler de connivence ou de complaisance. La véritable obsession d’Erdogan est de faire tomber le régime d’Assad, d’où cette complaisance avec Daesh.
La logique d’Erdogan, c’est que tous les moyens sont bons pour atteindre cet objectif. Mais à présent, Daesh n’a plus besoin du soutien de la Turquie, ce qui en fait une organisation incontrôlable.
Un certain nombre d’arrestations et l’attentat de Suruç ont obligé la Turquie a changer de politique corrélativement au Qatar et à l’Arabie saoudite, ce qui s’est traduit par un soutien à Al Nosra.
C’est une politique infiniment dangereuse.

Erdogan a-t-il changé d’objectif stratégique vis-à-vis d’Assad ?
Erdogan et Davutoglu nous avaient annoncé en fanfare que la chute d’Assad était imminente. Maintenant, on comprend qu’il n’y aura pas de solution militaire.
Il faudra discuter avec Assad comme l’a rappelé le secrétaire d’Etat américain, John Kerry.

En novembre, se tiendra le sommet du G20 à Antalya. Cette fenêtre diplomatique donnée à la Turquie sera-t-elle l’occasion pour les pays européens de lui rappeler le respect des libertés fondamentales ?
Il ne faut pas s’illusionner. Le G20 se tiendra comme prévu. Les pays européens ne diront pas grand chose. Je souhaite que la France envoie des messages sur la presse mais par ailleurs, nous n’avons pas de leçon de morale à donner.
Malgré les erreurs du gouvernement, la Turquie a un rôle incontournable dans la lutte contre Daesh. Un message politique de haut niveau serait une nécessité car rien ne peut justifier les perquisitions et les arrestations de journalistes.
La liberté de la presse est sacrée mais n’imaginons pas une logique de surenchère car Erdogan est dans une forme d’autisme politique, il n’entend pas les messages qui lui sont adressés.
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