ANALYSES

«Une remise en cause du Mondial au Qatar serait vue comme un complot américain»

Presse
4 juin 2015
Les Etats-Unis ont été scandalisés de voir leur échapper la Coupe du monde de 2022. Dans la tourmente actuelle de la FIFA, ils pourraient être animés par une volonté de revanche, estime le géopoliticien Pascal Boniface.

Sommes-nous devant un «complot» des Etats-Unis contre la FIFA ?
Pascal Boniface: Un complot, non. Mais il y a certainement des intérêts américains à avoir déclenché ce scandale. Les Etats-Unis ont été offusqués et scandalisés par le fait de voir leur échapper la Coupe du monde 2022 et ils peuvent donc être animés par une volonté de revanche. Or, leur poids dans le monde leur donne les moyens d’exercer la justice de manière extraterritoriale, ce qui n’est pas vrai pour d’autres pays. Cela dit, les faits sont les faits, et la justice américaine n’a pas inventé les faits répréhensibles qui sortent aujourd’hui au grand jour.

La manière spectaculaire dont tout cela s’est passé n’ajoute-t-elle pas au sentiment d’une sorte de leçon donnée par les Américains?
Il y a souvent un côté spectacle dans les agissements de la justice américaine. En procédant à ces arrestations à l’ouverture du congrès, nous sommes sans doute face à une volonté de ¬marquer les esprits. Mais c’était aussi l’occasion qui voulait cela. Les gens arrêtés étaient comme dans une souricière; ils sont tous tombés dans le piège à Zurich.

Le rôle joué par le FBI ne traduit-il pas une volonté qui irait au-delà des visées judiciaires ?
Effectivement, le FBI est sous la coupe des autorités et du gouvernement américains, ce qui n’est pas le cas des procureurs, qui mènent leurs enquêtes de manière plus indépendante. Cela dit, on peut être indépendant et porter néanmoins le sens de l’intérêt national. Tout cela m’apparaît en réalité comme un effet d’aubaine pour les Etats-Unis. Dans ce pays, bien davantage qu’en Europe, le mensonge et la triche sont bannis. Il ne faut pas perdre de vue comment, par le passé, les Etats-Unis s’en sont pris très vivement à deux idoles du sport national, le cycliste Lance Armstrong et l’athlète Marion Jones.

Une possible remise en cause des attributions des prochaines Coupes du monde aurait-elle des conséquences politiques pour les Etats-Unis ?
Oui, sans aucun doute, que ce soit d’ailleurs vis-à-vis du Qatar ou de la Russie. Une remise en cause de la Coupe du monde de 2022 au Qatar laisserait des traces et serait vue par une large partie du monde arabe comme la preuve d’un complot américain visant à les priver d’un événement auquel ils ont pleinement droit. Notez que je ne parle pas des gouvernements arabes, dont certains ont des relations compliquées avec les autorités qataries, mais plutôt des opinions publiques.
Vladimir Poutine, de son côté, a déjà commencé à jouer cette carte-là en s’affichant comme le défenseur de Sepp Blatter. L’opinion russe pense déjà que les Américains ont tout fait pour saper les Jeux olympiques de Sotchi sans y parvenir. Aujourd’hui, on tente donc de s’attaquer à un nouveau succès de leur pays.

Washington va-t-il tenter de minimiser ces répercussions politiques négatives ?
Comme toujours dans ce genre de cas, nous allons assister à un grand déploiement d’hypocrisie. Des sénateurs républicains vont faire campagne pour qu’on revoie l’attribution des Coupes du monde à la Russie et au Qatar. L’exécutif, lui, affirmera que ce débat ne le concerne pas et qu’il faut laisser la justice mener son travail…

Pensez-vous que, en poursuivant sa propre enquête, la Suisse puisse hériter de la mauvaise humeur des pays concernés ?
Si la justice suisse trouve des choses, cela n’est pas exclu… Notez toutefois que Sepp Blatter s’était déjà mis à dos le Qatar, lors de sa lutte contre Michel Platini. Plus généralement, ce n’est pas celui qui dévoile les scandales qui en est le responsable, mais bien celui qui commet des actes répréhensibles…
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