ANALYSES

Projet de loi renseignement : «On va regretter les écoutes de l’Élysée !»

Presse
13 avril 2015

Le projet de loi renseignement est discuté cet après-midi à l’Assemblée nationale. Pour François-Bernard Huyghe, il pourrait nous entraîner vers une société de surveillance généralisée sans pour autant être efficace dans la lutte contre le terrorisme.


Le projet de loi visant à renforcer les pouvoirs des services de renseignement dont la discussion commence aujourd’hui à l’Assemblée devrait être largement adopté. Mais, face à des terroristes organisés, celui-ci peut-il vraiment s’avérer efficace? Ne faudrait-il pas revenir à davantage de renseignement humain?


Les Merah, Nemmouche, Kouachi et compagnie a) étaient parfaitement repérés par les services mais leur dangerosité (ou l’urgence de l’intervention) avaient été mal évaluées et b) ils savaient utiliser des téléphones multiples, des «boîtes à lettre mortes» sur Internet, des intermédiaires, etc. L’actuel projet de loi n’aurait guère servi contre eux.
Même mes étudiants savent se servir de TOR ou des logiciels de cryptologie, alors les supercriminels….


Toute question de libertés publiques mise à part, il est inutile de faire de la «pêche au chalut» pour recueillir des millions de métadonnées (les fameuses «boîtes noires») sur des gens qui pourraient connaître des gens qui pourraient avoir un profil suspect. Du moins tant qu’un analyste humain ne dit pas sur qui se concentrer (et si on ne garde pas assez en prison les djihadistes qui y sont déjà).


Est-on train de basculer dans une société de surveillance généralisée?


Et même vers une société de prévention généralisée qui entend non seulement savoir ce que font les citoyens pour éventuellement les punir, mais aussi anticiper leurs futurs comportements qu’ils soient économiques ou criminels. Demain leurs pensées et leurs intentions (résultant d’un profil produit par un logiciel qui fera la corrélation entre les données)?


Il est bien connu que «Google en sait plus sur vous que vous-même» (du reste pour une bonne part à partir de renseignements que vous lui fournissez spontanément). Ce n’est pas une raison pour créer en France un système qui rivalisera avec celui de la NSA en inefficacité et intrusivité.


Le système peut-il être détourné à d’autres fins que la lutte contre le terrorisme?


Bien entendu. La loi sur le renseignement n’est pas une loi contre le terrorisme, mais elle prévoit sept finalités de surveillance préventive aux interprétations très extensives. Avec des notions comme «les intérêts essentiels de la politique étrangère et des engagements européens et internationaux de la France» ou «la prévention des violences collectives» (comme une manifestation?) ou «la prévention de la reconstitution… de groupements dissous», je vous laisse imaginer ce que l’on peut faire contre des adversaires politiques. Moi-même que mon métier amène à rencontrer des attachés militaires étrangers et à lire des textes djihadistes, je dois y avoir droit. Et vous-même qui venez de me contacter…


A l’époque de Facebook et de Twitter, big brother n’est-il pas de toute façon déjà là?


Il est bien connu que «Google en sait plus sur vous que vous-même» (du reste pour une bonne part à partir de renseignements que vous lui fournissez spontanément). Ce n’est pas une raison pour créer en France un système qui rivalisera avec celui de la NSA en inefficacité et intrusivité. On va regretter les écoutes de l’Élysée!


A l’avenir devra-t-on choisir entre sécurité et liberté?


Depuis les lois dites scélérates de 1893 (visant une sorte de complicité intellectuelle avec les attentats anarchistes), avec les lois de surveillance des messages, des intentions, des projets…(lois de 1991, 1996, 2003, 2004, etc.), pensez-vous que nous ayons énormément gagné en sécurité? Le problème n’est pas d’être «pour» telle proportion de liberté ou de sécurité: la finalité de toute prévention et répression est de garantir nos libertés contre ceux qui exercent des violences réelles. Sinon elles sont contre-productives en fournissant des arguments aux ennemis de nos démocraties.