ANALYSES

Conflits en Irak/Syrie : où en est-on des forces en présence ?

Interview
10 mars 2015
Le point de vue de Karim Pakzad
Lundi 2 mars, une offensive de l’armée irakienne pour reprendre la ville de Tikrīt aux djihadistes de l’organisation de l’Etat islamique a débuté. Il s’agit de la principale opération militaire lancée par l’armée irakienne dans cette province depuis juin 2014. Pourquoi l’armée irakienne a-t-elle tant de difficultés à s’imposer dans les combats contre Daech ?
Cette offensive pour reprendre la ville de Tikrīt aux mains de l’organisation de l’Etat islamique (Daech) est la plus grande offensive de l’armée irakienne depuis sa débâcle militaire à Mossoul en juin 2014. Cette débandade a mis en évidence la défaillance de l’armée irakienne, dissoute par les Américains dès le début de leur offensive contre l’Irak et la chute du régime de Saddam Hussein le 9 avril 2003. Depuis, cette armée n’existait pas réellement car ce sont les forces américaines et alliées qui contrôlaient l’Irak et assuraient la sécurité au Sud du pays, à Bagdad et dans des provinces de l’Ouest de l’Irak. Le Nord du pays avait été laissé aux mains des Kurdes, capables d’en assurer la sécurité. Il a donc fallu, après le départ assez précipité des troupes américaines, reconstruire une armée capable de mener des offensives d’envergure. Les Américains, mais aussi les Européens, ont pris conscience que l’Irak était à la merci des organisations terroristes car le pays n’avait pas d’armée solide, bien équipée ou bien informée. Le président Barack Obama a rapidement envoyé des conseillers militaires (3100) pour former des officiers et des soldats irakiens. L’Irak a acheté des équipements militaires aux Etats-Unis et en Russie. Aujourd’hui, cette armée est finalement sur pied pour mener une contre-offensive contre Daech et libérer Tikrīt, ville importante du pays. Si l’armée réussit cette première étape, elle ouvrira la route vers Mossoul et continuera donc son avancée vers le Nord du pays.

Des milices chiites, menées par le chef des Gardes révolutionnaires de l’Iran, Quassem Souleimani, sont venues grossir les rangs de l’armée irakienne, malgré les tensions avec les populations sunnites du pays. Peut-on craindre que le conflit dégénère, une fois encore, en guerre confessionnelle ? Que faut-il penser de cette présence iranienne ?
La présence de Pasdaran iraniens en Irak n’est pas une chose nouvelle. Leur présence sur le territoire irakien était avérée avant même que les Américains et les Européens – notamment les Français – réagissent pour venir en aide aux Kurdes au moment où Daech menaçait directement la ville d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Le président de l’autorité autonome kurde, M. Massoud Barzani, a confirmé que, dès le premier jour, ce sont les Iraniens qui sont venus en aide aux Kurdes pour repousser l’offensive de Daech. Il est également certain qu’au-delà de l’armée irakienne, les milices chiites, qui existaient avant même la chute de Saddam Hussein, sont restées armées. La plus grande de ces milices est sous la direction de Moqtada al-Sadr, sans oublier la brigade Badr, liée au Conseil suprême islamique irakien. L’Iran a aidé ces milices chiites à s’armer et à se former, contribuant ainsi à les rendre particulièrement puissantes. D’ailleurs les Iraniens ne cachent plus leur présence en Irak et la presse iranienne a fait de Quassem Souleimani, le commandant en chef de la force al-Qods, le bras armé des Pasdaran à l’étranger, un héros national. Ses photos avec les combattants kurdes et chiites sur le front irakiens sont publiées en Iran.
Les milices chiites participent à l’offensif sur Tikrīt. Il est à noter que le gouvernement irakien signale également la présence des peshmergas kurdes, ce qui ne surprend pas, mais aussi la présence des milices arabes sunnites. Si cette information se révèle exacte, elle montre que la politique du nouveau Premier ministre irakien, M. Haïder al-Abadi, et sa main tendue vers les tribus arabes sunnites est couronnée de succès.
Cette offensive contre Tikrīt suscite néanmoins quelques inquiétudes, notamment de l’Arabie saoudite et plus généralement de l’ensemble des pays du Golfe persique. Ils sont très inquiets de la présence de l’Iran en Irak. La rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite est à l’origine de la naissance, du développement et du renforcement de Daech. Bien que l’Iran ne fasse pas partie de la coalition internationale, il partage néanmoins les mêmes objectifs que les Américains. D’où des réactions assez modérées des responsables américains sur la présence iranienne en Irak. Il y a aussi l’importance qu’ont pris les milices chiites en Irak, qui inquiètent les Saoudiens et autres pays arabes, mais avant tout les Irakiens qui appréhendent qu’elles se comportent comme sous le régime de Nouri al-Maliki où elles commettaient des exactions contre la communauté arabe sunnite ; si la situation dérapait cela pourrait provoquer à nouveau un conflit intercommunautaire et inter-religieux en Irak. Cela étant, M. Haïder al-Abadi n’est pas Nouri al-Maliki : le président irakien actuel a pris des mesures parfois radicales pour œuvrer à la réconciliation entre les communautés arabes sunnite et chiite.
En conclusion, la question d’une guerre confessionnelle reste ouverte, tout dépendra de la façon dont les milices chiites, mais aussi les tribus arabes sunnites, se comporteront.

A l’occasion de sa visite à Paris le jeudi 5 mars, Khaled Khoja, chef de l’opposition syrienne en exil, a annoncé vouloir mettre en place une nouvelle stratégie de négociations en rassemblant les différents groupes d’opposition en Syrie mais également des membres du gouvernement de Bachar al-Assad. Selon vous, cette stratégie s’avérera-t-elle concluante lors de la conférence Genève 3 (qui devrait se dérouler courant 2015) ?
La Syrie, plus que l’Irak, inquiète la communauté internationale. Aujourd’hui, la situation est très compliquée. Tout d’abord, il y a l’opposition soutenue par les Occidentaux, la Turquie ou encore par l’Arabie saoudite. Cette opposition – la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution – qui regroupe essentiellement des islamistes modérés, des Frères musulmans et quelques personnalités laïques, est très affaiblie sur le terrain. En revanche, son président, Khaled Khoja, est très actif sur le plan diplomatique. C’est aujourd’hui l’organisation de l’Etat islamique qui est la principale force de l’opposition au régime syrien avec environ 40 000 combattants en Syrie. La deuxième force d’opposition la plus importante est le Front al-Nosra, organisation affiliée officiellement à Al-Qaïda. Par conséquent, la majeure partie de l’opposition syrienne est aujourd’hui composée principalement de djihadistes.
La situation devient extrêmement compliquée sur le terrain car à part la minorité kurde, il n’existe pas de combattants au sol pour continuer la lutte contre Daech et les opérations aériennes de la coalition internationale ne peuvent pas suffire. La seule menace pouvant peser sur Daech est l’armée syrienne. Mais les Occidentaux sont radicalement opposés à toute négociation ou à tout changement de politique vis-à-vis de la Syrie tant que Bachar al-Assad sera au pouvoir. La France accuse le président syrien d’avoir contribué au renforcement des djihadistes en libérant des prisonniers islamistes des prisons syriennes et refuse tout dialogue avec lui. Or, la déclaration du chef de la coalition de l’opposition syrienne, de surcroit faite à Paris, ne demande plus le départ du président syrien pour participer à des négociations avec les envoyés de Damas. Il est d’autant plus intéressant que c’est à Moscou que l’opposition discute avec les envoyés du régime.
Ceci peut, à mon sens, constituer un tournant important, d’autant plus que certains membres de la coalition internationale sont beaucoup plus nuancés que la France sur la question de reprendre le dialogue avec le régime syrien. Il faut maintenant attendre la réaction des pays occidentaux à cette déclaration et voir dans quelle mesure ils seront prêts à soutenir cette initiative pour réunir non seulement l’opposition syrienne de l’intérieur (celle tolérée par le régime) mais également la coalition soutenue par les Occidentaux et les pays arabes.
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