ANALYSES

« Ce ne sera pas à la hauteur des enjeux »

Presse
27 février 2015
Interview de Bastien Alex - La Marseillaise
François Hollande, en partant pour Manille, a déclaré vouloir aboutir à un traité historique lors de la conférence de Paris (COP 21). C’est en bonne voie ?
C’est tout le paradoxe on retiendra, si on parvient à faire signer un accord global et contraignant à l’ensemble des parties – incluant un système ou tout le monde est soumis à des mesures d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre -, une performance historique Pour autant, est-ce que cela veut dire que l’accord sera à la hauteur des enjeux qui sont posés ? Moi je n’en suis pas certain et je pense même que ce ne sera pas le cas. Accord il y aura, mais je pense qu’il ne sera pas suffisant.

Le Président a pourtant l’air confiant ! Qu’est-ce qui vous rend si pessimiste ?
Le gros problème qui est devant nous, c’est l’architecture de Kyoto telle qu’elle existe actuellement. Tout l’enjeu est de la réformer à la fin de l’année. II y a une opposition, du fait du principe de responsabilité commune mais différenciée. L’accent a été mis sur la responsabilité des pays industrialisés, ce qui tient à peu près la route. Sauf que personne n’avait prévu que certains pays du Sud connaîtraient une croissance impressionnante, économique et démographique. Mais aujourd’hui, ce clivage Nord-Sud n’a plus vraiment de sens au regard de révolution de pays comme l’Inde ou la Chine, par exemple. Cette dernière est devenue le plus grand émetteur de gaz à effet de serre depuis quelques années et a connu la croissance économique que l’on sait. Mais dans le cadre des négociations climatiques, elle figure au groupe des pays du Sud, le G77, avec des nations qui n’ont pas du tout connu la même évolution. On voit le même type de phénomène avec l’Inde.

Il faut pourtant bien trouver une façon de négocier à peu près équitable ?
La vraie nouveauté depuis une dizaine d’années c’est que l’unité du Sud a complètement volé en éclats. Parce que les positions sont beaucoup trop différentes. Que la Chine négocie dans le même groupe que le Bangladesh ou que le Chili ça n’a aucun sens. Aujourd’hui certains pays jouent de cette division habilement. Quand on reproche aux Chinois leur changement de statut de deuxième puissance économique mondiale et de premier émetteur, etc., ils ont beau jeu de répondre que les pays industrialisés ne tiennent pas leurs promesses, et avec des arguments.

Par exemple ?
Par exemple, ils évoquent le« Fonds vert » [mécanisme financier de l’ONU, de 100 milliards de dollars, qui a pour objectif le transfert de fonds des pays les plus avancés à destination des pays les plus vulnérables pour mettre en place des projets pour combattre les effets des changements climatiques, ndlr], qui n’est pas abondé correctement. Ils vont essayer d’appuyer là-dessus pour fédérer autour d’eux l’ensemble des pays du Sud. On est arrivé l’année dernière à doter le Fonds vert à hauteur de 10milliards de dollars ça veut dire qu’il en manque 90 !
De plus, les pays du Sud ont l’amère expérience du fameux0,7% du PIB de l’aide publique au développement : jamais versé entièrement hormis les trois premières années Aujourd’hui, ils ont très peur que l’on « verdisse » cette aide publique au développement. Ils espèrent du cumulatif.Ils veulent que l’aide au développement se poursuive, même s’il y a eu quelques déboires à la fin de la guerre froide, et qu’en même temps il y ait un financement des mesures d’adaptation pour combattre le changement climatique. II est très compliqué pour eux d’obtenir des garanties.

Ceci implique-t-il pour autant un échec de la prochaine conférence ?
Je pense qu’il est difficile d’obtenir un accord international qui soit véritablement efficient. II y aura un accord, c’est une certitude parce que tout le monde veut un accord. Mais ce « quelque chose », au regard du problème qui est pose, je ne crois pas qu’il sera très ambitieux et très efficace. De toutes les façons c’est très compliqué. Les États-Unis n’ont pas signé certains grands traités contraignants, comme celui de la Cour pénale internationale ou d’autres encore. On sait que pour arriver à la signature d’un traité contraignant, d’une manière ou d’une autre, il doit contenir aussi une porte de sortie. II pourra arriver la même chose qu’avec le traité de Kyoto. Le Japon, la Russie ou le Canada en sont sortis parce que le respecter leur aurait coûté trop cher.
Je pense en vérité qu’un traité international vraiment contraignant et efficace, aujourd’hui, ne peut pas voir le jour. Compte tenu de la protection des intérêts des uns et des autres et parce qu’il y a trop d’incertitude pour prendre des engagements sereinement. Et puis dans ce type d’accord, quand un Président signe au bas de la feuille, il n’y a aucune certitude que le Président suivant la respecte à son tour.
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