ANALYSES

Quelle stratégie à droite face au FN ?

Presse
11 février 2015
Interview de Jean-Yves Camus - Le Monde
La courte défaite de la candidate frontiste lors de l’élection législative partielle du Doubs a pu, à juste titre, être saluée par Marine Le Pen comme étant une victoire. Forte progression entre les deux tours, score plus serré que ne le laissaient supposer les appels nationaux à faire barrage au Front national, confirmation que ce parti arrive en tête dans la périphérie rurale des conurbations et accroche la gauche dans des villes de tradition ouvrière, le résultat n’est pas mince.

Au-delà de l’enjeu local, le FN a réussi à mettre en difficulté l’UMP : en l’éliminant au premier tour puis en la faisant se déchirer comme jamais sur la question du « front républicain ». Si la formation de Nicolas Sarkozy est la principale perdante de cette consultation, il existe matière à réflexion pour le Parti socialiste.

A deux ans de l’élection présidentielle, celui-ci doit comprendre que la bonne gestion par l’exécutif de la séquence des attentats ne suffira pas à inverser le cours du quinquennal : l’attente principale des Français se porte toujours sur les problèmes économiques et sociaux. Il faut aussi admettre que la formule consacrée selon laquelle le Front national serait un parti antirépublicain, véhiculant le racisme et l’antisémitisme, n’est plus opérante. Nous arrivons là au cœur du problème : la classification du lepénisme. La notion de République a recouvert successivement dans l’histoire bien des nuances : la République en armes, plébiscitaire, autoritaire, parlementaire, puis le régime présidentiel. Nul ne peut dire à quoi la forme du gouvernement ressemblerait si le FN arrivait au pouvoir, mais, formellement, il ne souhaite pas abolir la République.

Il faut donc expliquer que celle-ci ne vaut que par les principes d’égalité et de redistribution, ce qui implique d’argumenter son incompatibilité avec la notion de préférence nationale. C’est l’acceptation ou le refus du « nativisme », terme de loin préférable à ceux de xénophobie et de racisme, qui constitue le cœur du problème posé par le FN. Quant à l’argument de l’antisémitisme, il devient irrecevable en raison de l’évidente différence de nature entre la rhétorique frontiste et la violence armée des islamistes radicaux.

UNE ERREUR JAMAIS RÉPARÉE

La droite est la première à devoir clarifier son analyse du phénomène frontiste et les positions qui en découlent, parce que c’est pour elle une question de survie. Dès la percée électorale frontiste en 1983-1984, elle a commis une erreur jamais réparée : penser qu’elle avait une sorte de légitimité sur l’exercice du pouvoir, qui ne pourrait jamais être remise en question par les éternels battus que représente la droite radicale. Le RPR puis l’UMP ont minoré le frontisme et apprennent à leurs dépens que la division des droites, qui semblait immuable, entre libéraux, conservateurs et démocrates-chrétiens cède la place à un nouveau schéma, dans lequel les droites nationales-populistes s’installent comme quatrième force.

Toutefois, si le FN est bien, arithmétiquement, la troisième force politique du pays, cela ne signifie pas qu’il ait fini par imposer le tripartisme en France. Le tripartisme signifie en effet la possibilité pour deux au moins des partenaires du jeu de gouverner ensemble. Dans ces conditions, si l’on suit le raisonnement de Thierry Mariani, il faudrait que la droite accepte de gouverner avec le FN. Or pour l’instant celui-ci reste le « tiers-exclu » et le scrutin majoritaire ne lui permet pas d’avoir un réseau d’élus locaux de même épaisseur que les deux autres composantes majeures du système des partis. Il n’y a, du point de vue de la droite conservatrice, que deux issues : faire sauter le tabou des alliances en espérant que l’épreuve du pouvoir soit aussi défavorable au FN qu’elle l’a été au FPO autrichien ou ramener le FN à un étiage si bas que l’UMP redevienne le leader naturel de son camp, position qu’elle est en train de perdre.
On ne peut que se réjouir de voir Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et d’autres à l’UMP admettre que le FN est dans une dynamique ascendante qui rend plausible l’hypothèse de sa victoire. Cela devrait les amener à admettre que l’actuel président de l’UMP n’a pas « tué »le FN lors de la présidentielle de 2007 et que la ligne droitière du précédent quinquennat n’a pas asséché les ressources électorales frontistes. Parce que les électeurs du FN veulent, sur l’identité nationale, l’immigration, l’Europe, des changements radicaux que la droite ne sera jamais à même d’impulser sans se renier.

Il faudrait la sortie pure et simple de l’Union européenne, l’arrêt total de l’immigration, voire l’inversion des flux migratoires (et non l’immigration choisie), une définition ethnico-religieuse de l’identité française et non plus simplement l’appel à l’assimilation à la culture dominante, jamais précisément définie.

Les études récentes montrent que la porosité entre l’électorat UMP et celui du FN progresse, que la conclusion d’accords locaux n’est plus taboue, que le centre de gravité idéologique de l’UMP se déplace vers la droite alors que la stratégie de « normalisation »de Marine Le Pen rend pratiquement impossible la réduction de son parti à l’extrême droite. Double contrainte qui ne laisse plus le choix à l’UMP : elle ne peut que lancer l’offensive tous azimuts contre le FN en disant qu’il constitue pour elle un adversaire aussi puissant que la gauche. Ensuite, elle doit espérer que son électorat suive. Sans leadership incontesté qui verrait le peuple de droite se ranger derrière son champion, comme c’est sa tradition, l’affaire n’est, à terme, pas gagnée.
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