ANALYSES

Bilan géopolitique de 2014

Presse
31 décembre 2014
Interview de Pascal Boniface - RFI

Les enjeux de 2014, seront-ils ceux de 2015 ? Pascal Boniface, fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), auteur du Grand livre de géopolitique, fait l’inventaire des grands sujets qui ont marqué l’année 2014 et surtout des conséquences possibles pour l’année à venir.


Au Moyen-Orient, est-ce que les jihadistes de l’Etat islamique vont encore gagner du terrain ou alors est-ce qu’ils vont être écrasés par la coalition ? Quelle est votre analyse de la situation militaire et géopolitique dans cette région ?


Peut-être ni l’un, ni l’autre. Ils ne vont pas continuer leur expansion, mais il n’est pas certain qu’ils puissent être écrasés. Ils ont été, en tous cas, contenus et commencent à être refoulés. On peut donc penser que leur période d’expansion est terminée, mais en même temps au-delà des effets, il faut également soigner les causes, la nature du pouvoir en Syrie, la nature du pouvoir en Irak. Et là ce sont des causes beaucoup plus longues sur lesquelles par ailleurs les Occidentaux ont peut-être moins de prise. On peut penser que l’Etat islamique n’est pas vainqueur. Il n’est pas éradiqué, il est sur le recul, en repli, mais il n’est pas terminé.


Le conflit en Syrie entre les rebelles et Bachar el-Assad, alors qu’il y a cette guerre en Irak, en serait presque éclipsé. Est-ce que là aussi, on peut s’attendre à un épilogue. Est-ce que Bachar el-Assad va réussir à en finir avec ses opposants ?


Non, il ne risque pas d’en finir avec ses opposants parce que ceux-ci sont déterminés et qu’il y a vraiment une grande partie du pays qui est dressée contre lui. On a toujours l’espoir d’une solution diplomatique, mais qui tarde à venir parce que les points de vue sont irréconciliables entre les protagonistes du conflit syrien. Les Russes proposent une médiation. Mais ont-ils vraiment les moyens de faire pression sur Bachar ? Peut-être que la solution est aussi avec l’Iran. Est-ce que l’Iran a encore les moyens de soutenir financièrement le régime syrien ? Est-ce que le Hezbollah pourra encore s’engager aussi fortement ? On voit très bien que ce conflit a complètement épuisé ce pays : la Syrie est entièrement détruite, 200 000 morts et le chiffre n’est pas clos, le tiers des habitants ont été déplacés et puis, plus rien, le système de santé, le système éducatif, le système de production bien sûr est épuisé. C’est tout le pays qui est à bout de souffle par rapport à un conflit particulièrement cruel par ailleurs.


L’extension du conflit va-t-elle se poursuivre ? Le Liban avec le Hezbollah, la Turquie, qui est aussi partie prenante… ?


En extension, non. Le Liban est bien sûr toujours fragile mais les protagonistes libanais sont toujours parvenus, au-delà de leurs divergences qui sont profondes et réelles à maintenir, à conserver au moins une unité du pays et à ne pas transposer la guerre civile chez eux parce qu’ils en connaissent le prix. lls en ont souffert et les uns et les autres savent que s’il y avait le redémarrage d’un conflit, c’en serait fini du Liban comme pays. Donc pour l’instant, le risque est contenu malgré, une fois encore, les profondes divisions qui opposent les communautés libanaises.


La menace terroriste se précise en Occident, on le dit presque chaque semaine. Est-ce que ça peut pousser les grandes puissances à s’impliquer davantage militairement dans cette région ?


Il faudrait peut-être aussi réfléchir aux causes du terrorisme. Est-ce que la guerre d’Irak de 2003, soutenue par certains en France, n’a pas été un facteur d’aggravation du terrorisme alors qu’elle avait été présentée comme un moyen de le réduire définitivement et d’y mettre fin ? La menace terroriste existe. Il ne faut pas non plus en faire l’alpha et l’oméga de l’analyse des relations internationales. Il y a des problèmes qui sont beaucoup plus structurés, beaucoup plus forts. Il ne faut bien sûr pas être dans le déni par rapport à la menace terroriste. Mais il ne faut pas non plus en faire une sorte d’écran de fumée qui marquerait d’autres problèmes.


Est-ce qu’une intervention en Libye est possible ou probable ? On dit que c’est la base arrière des jihadistes au Sahel ?


Oui. Beau résultat d’une intervention franco-britannique de 2011. Nous avons non seulement mis un désordre prononcé, pour ne pas dire l’anarchie dans ce pays, déstabilisé le Mali, affaibli l’Algérie, et surtout pire encore, nous avons mis à mal le concept de responsabilité de protéger. Au départ les Russes et les Chinois s’étaient abstenus sur le vote de la résolution 1973 pour que l’on puisse protéger la population de Benghazi. On a jugé malin à l’époque de changer la mission en cours de route pour aboutir au changement de régime. Du coup, s’il y a un blocage en Syrie c’est par rapport à cette mémoire des évènements libyenx, avec sa brutalité. Sergueï Lavrov a dit à Laurent Fabius : « Vous nous avez baisés en Libye, vous nous baiserez pas en Syrie. » C’est aussi la raison du blocage.


La France est au Sahel. Elle est en Centrafrique. Elle est aussi en Irak. Elle s’implique diplomatiquement au Proche-Orient, dans la crise ukrainienne. Est-ce que ça va continuer ? Est-ce que Paris va continuer dans cette ligne politique ?


On a reproché une timidité de la France lors des premiers jours de la guerre de Gaza où elle s’est peu exprimée. Il y a eu un vote au Parlement et l’exécutif tarde encore à reconnaître la Palestine. Mais effectivement sur d’autres dossiers, il y a moins de timidité. On peut dire que les opérations au Mali ou en Centrafrique sont des succès, non pas que tous les problèmes ont été résolus, mais que la situation serait bien pire si la France n’était pas intervenue. Et la France a finalement réagi, d’une part dans un cadre légal avec l’appui, et à la demande, des pays concernés, avec l’appui des pays de la région, et l’assentiment du Conseil de sécurité. Donc c’est un peu la thématique pour une intervention réussie. Par rapport à l’Ukraine, il y avait un accord qui avait été trouvé lorsque les trois ministres des Affaires étrangères allemand, français et polonais, s’étaient rendus à Kiev, il a manqué peut-être quelques heures pour finaliser cet accord et peut-être la France pourrait jouer plus le rôle de pont entre la Russie et les Occidentaux.


On attend beaucoup de la conférence climat en qui va se tenir à Paris…


Oui, et Laurent Fabius, lors de son discours devant les ambassadeurs en août dernier, l’a présentée comme étant l’enjeu diplomatique le plus important du quinquennat parce que bien sûr, le changement climatique, c’est le défi le plus important pour l’avenir de l’humanité. La France a la chance d’être l’hôte de ce sommet à un moment où, peut-être, il pourra enfin y avoir convergence sur un point essentiel.

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