ANALYSES

Ebola : va-t-on vers un ralentissement de l’épidémie ?

Interview
14 janvier 2015
Le point de vue de Michel Maietta
Le Liberia, un des pays les plus violemment touché par Ebola, après avoir décrété en novembre la fin de l’état d’urgence, va rouvrir ses écoles en février. Peut-on voir là un signe du ralentissement de l’épidémie ?

Le dernier bulletin du WHO recensait plus de 21 000 cas d’Ebola et 8 304 morts ont été enregistrés. Au Liberia, la courbe épidémique a touché un pic en novembre et a connu son pic maximal épidémique cet été. Le taux d’incidence – soit le nombre de nouveaux cas – est en train de diminuer ; c’est pour cette raison qu’une certaine normalisation est en train de se mettre en place. En termes de dynamique de l’épidémie, il se passe en revanche quelque chose de très particulier en Guinée où le taux d’incidence est très fluctuant et ne permet pas d’arrêter une tendance à court terme. Nous sommes encore loin de maîtriser la situation dans ce pays et, malheureusement, des taux d’incidence explosent dans certaines zones, en particulier dans le Sud-Est. On peut, en revanche, noter des signes encourageants avec des tendances à la baisse au Sierra Leone.
Cela étant, les taux de transmission de la maladie restent encore très élevés dans certaines zones, notamment dans la capitale, Freetown, et la région de Bombali au Sierra Leone, dans la région de Montserrado au Liberia et à Macenta en Guinée.
L’ensemble de ces pays ont aujourd’hui la capacité théorique de traiter les patients : ils peuvent assurer deux lits dans les centres de traitement par cas reporté comme confirmé ou probable. Le problème reste la distribution de ces lits sur les territoires, qui ne suit pas forcément la densité géographique des nouveaux cas.
L’objectif d’isoler 100% des cas détectés n’est donc pas encore atteint.

On a constaté, depuis l’exportation de quelques cas dans des pays comme les Etats-Unis, la France ou l’Espagne, qu’Ebola se soignait très bien dans nos hôpitaux. Pourtant, l’épidémie a fait plus de 7800 morts en Afrique de l’Ouest en moins d’un an. Que cela révèle-t-il de la situation de ces pays et surtout de la gestion de l’épidémie ?

Sur la gestion de l’épidémie en elle-même, la situation est très spécifique aux pays, le Liberia et le Sierra Leone, par exemple, sortent d’une longue période d’instabilité socio-politique. La structure des centres de santé et celle des systèmes de santé eux-mêmes dans ces Etats étaient affectées bien avant la crise Ebola. Depuis les années 90, ces derniers s’étaient complètement dégradés et même s’il y avait du personnel dans certains de ces centres, le matériel de base manquait ; pour certains d’entre eux il n’y avait même pas d’accès à l’eau. Ces personnels de santé sont, de plus, mal rétribués, pas forcément bien formés, et sont bien souvent tentés de partir à la première opportunité, situation que l’on observe notamment dans les centres les plus éloignés des zones urbaines. Les politiques de santé sont elles-mêmes aussi très déficientes depuis plusieurs années, pour différentes raisons. Certaines sont structurelles, liées à l’histoire des conflits dans ces pays ou à la corruption, pour d’autres il s’agit d’un déficit chronique d’investissement des Etats. Les budgets consacrés à la santé, dans certains cas, sont en effet très faibles et représentent un pourcentage minime de l’ensemble des budgets publics. Si avant la crise Ebola, les budgets alloués à la santé étaient en augmentation, cela était loin d’être suffisant pour structurer, voire construire dans certaines régions un système de santé assez fort pour contrer une épidémie comme Ebola.
Il y a, enfin, bien sûr, une importante responsabilité de la coopération internationale, notamment des politiques d’aides bilatérales qui ont été conduites au cours des quinze dernières années dans ces pays. Guinée, Liberia et Sierra Leone étaient en plein développement structurel et n’arrivaient pas à investir davantage dans leur système de santé du fait de leur endettement auprès du FMI. Pourtant, il était impératif que ces pays fassent de la santé publique une priorité : pour ces raisons, une aide internationale intelligente et efficace était fondamentale. Or, l’UE, la France et l’Allemagne se sont, au même moment et sans se coordonner, désengagés des questions de financement des systèmes de santé de ces pays. A l’aide bilatérale classique, la France privilégie depuis plusieurs années le financement de partenariats public-privé, 70% de l’aide française en faveur de la santé transitant par des canaux multilatéraux. Or ces derniers auront du mal à justifier leur efficacité dans le renforcement des systèmes de santé que ce soit au Liberia, au Sierra Leone et en Guinée pré-Ebola… L’OMS n’a, quant à elle, pas de moyens financiers, ni le mandat pour contrebalancer un tel déficit, même dans l’urgence.

Les ONG ont les premières tiré le signal d’alarme au printemps 2014, notamment Médecins sans Frontières et ont été des acteurs très présents sur le terrain, parfois seuls à agir. Les ONG ont-elles remplacé l’action et la responsabilité des Etats dans cette crise? Qu’en est-il pour l’avenir ? Va-t-on vers une sorte de « privatisation » de la gestion des crises sanitaires internationales ?

On peut effectivement avoir cette lecture a posteriori, en se disant que les ONG ont remplacé une responsabilité étatique. Il faut cependant savoir à quoi correspond cette responsabilité. On parle d’Etats qui sont sortis de périodes de guerres très longues pour certains d’entre eux et on parle simultanément de coopération internationale défaillante ou d’aide bilatérale peu coordonnée qui portent aussi une responsabilité. Naturellement, il y a de même la responsabilité de la gouvernance des chefs d’Etat des pays touchés, qui, peut-être, ne font pas de leur système de santé une priorité nationale indépendamment des contraintes financières.
Mais, selon moi, le tableau est encore plus nuancé que cela. Le rôle des ONG humanitaires est toujours de répondre à un impératif. Si vous avez des populations en souffrance qui demandent de l’aide et se trouvent dans des pays incapables d’y répondre, les ONG humanitaires doivent intervenir. Elles ont ainsi répondu présentes durant cette crise d’Ebola et heureusement car, effectivement, les autorités nationales étaient complètement dépassées. Non seulement la population souffrante était en demande d’aide mais les Etats eux-mêmes l’ont demandée. Encore dernièrement, la Guinée demandait à Médecins Sans Frontières de les aider à mieux maîtriser la fluctuation de l’incidence dans la dynamique épidémique de leur pays. On se trouve donc avec des Etats complètement désemparés, une population abandonnée à elle-même et des ONG humanitaires qui jouent leur rôle de courroie d’urgence.
Il ne s’agit pas non plus d’une privatisation. Les ONG, et notamment MSF, agissent grâce à l’aide publique. Certes, une partie de leur financement vient des dons d’individus, mais ils vivent aussi de bailleurs de fonds institutionnels.
En espérant que 2015 soit vraiment l’année où cette crise Ebola sera réglée, la leçon à retenir est que, premièrement, il faut se poser la question de la pression financière internationale qui asphyxie les pays en voie de développement. Il faut aussi s’interroger sur la façon avec laquelle les aides bilatérales sont coordonnées par les Etats pour supporter notamment les systèmes de santé et il faut aussi les aider à construire des politiques de santé publique efficientes et efficaces. Enfin, il faudrait un « plan Marshall » sur la santé pour tous les Etats africains en voie de développement qui, structurellement, se trouvent aujourd’hui dans la même situation que le Liberia, le Sierra Leone et la Guinée et qui demain, s’ils sont frappés par Ebola, vivront la même catastrophe si rien n’est fait. Quant aux ONG, elles seront toujours là et répondront présentes pour travailler auprès des populations en souffrance se trouvant face à l’inertie de leur pays ou à leur incapacité à répondre, ainsi que face à l’irresponsabilité de la coopération internationale.
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