ANALYSES

L’agriculture durable en Afrique

Presse
28 novembre 2014
Interview de Philippe Hugon - Après Demain

L’agriculture africaine occupe globalement près de la moitié de la population alors qu’elle contribue à moins de 20% du PNB et à 10% des exportations. La production agricole a presque triplé en valeur au cours des 30 dernières années, mais par un processus extensif d’augmentation de la population agricole et des terres avec peu d’efficience dans [‘utilisation des facteurs. L’agriculture participe à une faible part des chaînes de valeur nationales et internationales. L’Afrique est le seul continent à avoir connu en 30 ans une augmentation du nombre de mal-nourris (essentiellement en zone rurale) et une hausse de sa population rurale malgré l’urbanisation [NEPAD, 2014].


L’agriculture africaine dominante est celle de petites exploitations familiales subissant les aléas climatiques et l’instabilité des prix, utilisant peu d’intrants et d’irrigation, écoulant leur production sur des marchés limités et connaissant des goulets d’étranglement en amont et en aval des filières [John Murray Mclntire,2014]. On estime que 80% des exploitations (33 millions) ont moins de 2 hectares. La balance commerciale céréalière, qui était équilibrée en 1961, a connu un déficit croissant (-10% en 1995 et -25% en 2010) alors que la production céréalière a augmenté d’un facteur 1,8 en 30 ans. L’Afrique a un taux de dépendance de 74% pour le blé et de 41% pour le riz.


Globalement, l’agriculture vivrière a permis l’alimentation d’une population rurale, qui croît de plus de 3%par an, et d’une population urbaine dont le taux de croissance est de 5% ; mais elle s’est développée sur un mode principalement extensif. Le niveau de la productivité de l’agriculture africaine se situe en moyenne à un tiers de celui de l’Asie ou de l’Amérique latine. La consommation d’engrais est de 9 kg par hectare contre 100 en Asie. 6% des terres sont irriguées contre40% en Asie. Les écarts de productivité entre les agricultures africaines aux prix non stabilisés et non garantis et celles des pays industriels aux prix garantis sont de l’ordre de 1 à 100. En moyenne, les budgets publics affectés à l’agriculture représentent 6% alors que l’objectif de la Déclaration de Maputo de 2003 se situait à 10%.


Les agricultures africaines sont toutefois contrastées d’un type de culture et d’un pays à l’autre, selon les écosystèmes, les densités, les pratiques des acteurs et les politiques menées. Les plus faibles dynamiques sont observables dans les États faillis ou en conflit et dans ceux victimes de la « maladie hollandaise »*, liée notamment aux hydrocarbures. Les agricultures ayant les plus faibles progrès de productivité sont celles qui ont connu une faible croissance de la population rurale, une augmentation des terres inférieure à la croissance de la population et un faible taux d’irrigation [Nans P. Binswanger-Mkhize et al., 2010]. Il existe des relations significatives entre le rapport population non agricole sur population agricole, le ratio population urbaine sur population rurale, la taille des marchés et les rendements agricoles. Les agricultures intensives, utilisatrices d’intrants et de techniques, sont limitées à quelques zones à forte densité (cultures périurbaines, hauts plateaux rwandais, burundais, kenyans, malgaches ou bamilékés) ou zones de capitalisme agraire (Afrique du Sud, Kenya) [Philippe Hugon, 2012].


Le potentiel agricole africain est considérable. Certains mettent l’espoir sur des agricultures capitalistes et industrielles. L’Afrique possède un quart des terres cultivables dans le monde alors qu’elle contribue pour moins de 10% à la production agricole mondiale. 60% des terres arables ne sont pas cultivées de manière permanente. Il y a en Afrique un sous-investissement agricole : 7 milliards de dollars effectifs contre plus de 40 nécessaires, même si la hausse des prix mondiaux a favorisé la rentabilité de ces investissements.


Les rachats-accaparements de terres ou baux emphytéotiques (land grabbing) par des États, des firmes privées ou des fonds d’investissement, se développent dans les zones disposant de terres abondantes. Ils sont un facteur potentiel de financement et de progrès de productivité agricole, mais ces transactions, souvent non transparentes, nient les droits de la paysannerie, accentuent les conflits fonciers2 et risquent d’accroître la pauvreté et la malnutrition rurale. Elles privilégient souvent les agro-carburants et la nourriture pour animaux aux dépens des produits alimentaires. Le foncier devient une valeur refuge pour les capitaux. Les transformations des produits agricoles et leur insertion dans les chaînes de valeur mondiales constituent des opportunités, mais également des risques vis-à-vis des groupes vulnérables (petits producteurs, femmes et jeunes). L’agriculture contractuelle peut, au contraire, combiner les agricultures familiales, petites paysanneries et domaines communautaires avec des acteurs publics et privés disposant de technologies avancées pour l’amont et l’aval de la filière ou de la chaîne de valeur, et de capacités de financement.


L’Afrique doit répondre à la croissance du nombre de consommateurs, aux changements des rapports entre urbains et ruraux et aux nouveaux modèles de consommation urbains tout en réduisant la sous-alimentation, essentiellement rurale ; elle doit produire 70%de plus d’aliments d’ici 2050. Elle doit répondre à des défis tels les dérèglements climatiques, les conflits, les réfugiés. L’agriculture africaine demeure en réserve d’une double révolution verte – technique et écologique – ou d’une intensification écologique [Michel Griffon, 2006] qui procéderait à une amélioration technique augmentant les rendements tout en prenant en compte la complexité des écosystèmes (association culture-élevage, agroforesterie, diversité des techniques face à la variété des écosystèmes, contrats entre l’agriculture familiale et l’industrie). Les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont loin d’être la solution miracle. D’un côté, on attend un accroissement des rendements, des résistances au stress hydrique et une baisse des coûts des pesticides. De l’autre, on prévoit une baisse vraisemblable de la biodiversité, des risques sanitaires et environnementaux (pollution génétique), et une dépendance paysanne vis-à-vis des semenciers. En revanche, les nouvelles variétés, comme le nouveau riz pour l’Afrique (nafrica), sont au cœur des révolutions agricoles. La croissance verte, combinant efficacité économique et soutenable environnementale, est le devenir de l’Afrique, qui dispose d’un capital naturel considérable et la possibilité de faire des sauts technologiques. En milieu rural, la préservation des sols, le renouvellement des ressources halieutiques, la lutte contre la déforestation et l’agroforesterie, le maintien de la biodiversité sont au cœur de la lutte contre la pauvreté. L’agriculture familiale, à la condition d’être modernisée, est la plus à même d’optimiser l’utilisation du travail et de la terre, d’absorber le surplus de jeunes en zones rurales tout en respectant les règles et pratiques locales. Les principaux enjeux sont ceux de : 1/ la sécurité des acteurs (accès à la terre, minimisation des risques, pluri-activités) ; 2/ la gestion durable des ressources naturelles (adaptation aux changements climatiques) ; 3/ la modernisation des exploitations par accès au crédit, formation, multi-sectorialité ; 4/ la réponse aux défaillances de marché aux diverses échelles, du local à l’international. Les projets agricoles doivent accroître la productivité et les rendements en intégrant l’amont des filières (infrastructures, semences, aménagements hydrauliques), mais également l’aval (stockage, transports, chaînes de froid) [Le Déméter, 2014 ; Philippe Hugon,2012 ; NEPAD, 2014].


1. Terme utilisé pour désigner les conséquences nuisibles d’une augmentation significative des exportations des ressources naturelles par un pays.


2. Les transactions réalisées diffèrent des effets d’annonce. On estime que sur 800 millions d’hectares cultivables, 200 sont cultivés. 60 millions d’hectares auraient fait l’objet de transactions en 2011, soit 15 fois plus qu’en 2000.

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