ANALYSES

L’Union africaine : une puissance diplomatique ?

Presse
28 novembre 2014

Il semble prématuré de parler de l’Union africaine(UA) en termes de puissance ou précisément de puissance diplomatique. La situation générale du continent, dont l’Union africaine est chargée de protéger les intérêts au-delà des frontières africaines, n’est guère favorable à l’usage d’une telle terminologie. Certes, elle est arrivée à se doter d’une voix audible auprès d’autres organisations internationales, notamment l’ONU (Organisation des nations unies) et l’Union européenne, mais la traduction de la capacité de cette voix en outils de règlement des différends et des dysfonctionnements internes aux États semble lui faire défaut. Face aux conflits et au développement du terrorisme, de la Libye au Soudan en passant par le Mali, le Nigéria, la Centrafrique, l’Union africaine n’a pas su ou pu faire entendre sa voix. L’émergence africaine, relevée par bon nombre d’observateurs internationaux, semble être focalisée plus sur les extraordinaires perspectives démographiques du continent, le potentiel en ressources énergétiques et non sur la capacité de mobilisation internationale de l’Union africaine.


L’Union africaine peut-elle être une puissance diplomatique sans une capacité d’influence sur ses États membres et sur ses partenaires internationaux ? Incontestablement, la réponse est négative. Pour qu’elle devienne une puissance diplomatique, il faut qu’elle se dote soit d’une stratégie délibérée de la part d’un nombre important de ses États membres, soit d’une contrainte indispensable à la survie internationale de ces derniers, ou qu’elle soit capable d’exercer un effet indépendant sur les partenariats et accords signés à l’échelle internationale.


Pourtant, le constat est sans ambages. Le rôle de l’Union africaine dans la gestion des conflits et son ambition de se positionner comme interlocuteur crédible dans la construction et le développement du continent sont avérés. En moins d’une décennie, elle a réussi à mettre en place les bases d’une Force africaine en attente (FAA), avec des démembrements régionaux importants pour la paix et la sécurité. Les succès militaires de la FAA en Somalie enregistrés récemment face aux Shebab démontrent bien la volonté de l’Union africaine de confirmer son statut d’acteur en matière de gestion des conflits. Elle a par ailleurs développé une vision pour le développement global du continent à travers le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), issu de la fusion de deux plans proposés pour l’Afrique : le plan Oméga et le Millenium African Plan. Elle se propose, à travers [‘Agenda 2063, de consolider ces différents instruments en définissant la voie à suivre pour les cinquante prochaines années.


Mais au-delà de ses ambitions et de ses succès relatifs, l’Union africaine fait face à des défis structurels et politiques qui handicapent littéralement sa capacité et l’efficacité de ses mécanismes institutionnels dans les négociations internationales, qu’elles soient commerciales ou stratégiques.


Premièrement, l’Union africaine souffre d’une compétence supranationale très restreinte. Elle ne fait pas l’unanimité au sein des États membres sur une potentielle représentation internationale commune. On a pu par exemple entendre plusieurs « sons de cloche » en réponse à l’offensive militaire occidentale en Libye. Les crises maliennes et centrafricaines ont laissé entrevoir la faiblesse de l’Union africaine à mobiliser les troupes sur un théâtre de conflits de moyenne intensité. Le projet de création d’une Capacité africaine de réaction immédiate aux crises (CARIC) à l’issue des échecs enregistrés au Mali a mis au grand jour les lignes de fracture qui structurent le processus de mise en œuvre opérationnelle de la Force africaine en attente qui, par ailleurs, est loin d’atteindre sa pleine capacité opérationnelle.


Sur le plan des relations économiques et commerciales, en dehors de la relative influence de la vision du développement du NEPAD sur la politique d’aide de (‘ONU en Afrique, l’Union africaine semble bénéficier d’une considération marginale à l’égard des institutions financières internationales comme le Fonds Monétaire International, la Banque mondiale, [‘Organisation mondiale du commerce. L’absence d’un marché unique en Afrique et d’une économie continentale intégrée explique, entre autres facteurs, la faiblesse et le rôle périphérique de l’Union africaine dans les négociations commerciales. Elle ne peut donc pas gagner en efficacité dans les négociations commerciales internationales si elle n’est ni intégrée ni consolidée à l’intérieur du continent.


Deuxièmement, dans ses partenariats hautement stratégiques aux niveaux bilatéral et multilatéral, l’Union africaine fait face à une dépendance financière qui ne lui permet pas de s’émanciper des calculs de bas étage de nombre de ses États membres et de négocier équitablement avec ses partenaires internationaux. L’absence d’une voix unique en pratique, que lui conférerait le transfert de pans importants des souverainetés nationales, condamne l’Union africaine à l’exercice d’une diplomatie de façade habilement récupérée par des acteurs internationaux plus robustes, notamment l’Union européenne et la Chine. À titre d’information, les projets opérationnels et de fonctionnement de l’Union africaine sont financés à plus de 80% par l’Union européenne, et l’immeuble du siège de l’UA- vingt étages avec une salle de conférence de 2 500places environ – d’un coût de réalisation de 200 millions de dollars, a été construit par les Chinois.


Or, c’est là un des déterminants stratégiques du levier de négociation. Un levier qui donne à un acteur la capacité au terme d’une négociation internationale à obtenir le meilleur résultat possible, c’est-à-dire à obtenir le plus possible de son partenaire tout en cédant le moins. Un instrument savamment utilisé par l’Union européenne qui, depuis plusieurs décennies, est l’unique interlocuteur des partenaires commerciaux des États membres de l’Union africaine et l’un des acteurs les plus influents de la planète dans les négociations de commerce international. Contrairement à l’Union européenne qui a su construire une position structurelle forte avec plus de chances de sortir victorieuse dans les négociations, l’Union africaine ne dispose pas des deux principaux déterminants structurels de la puissance de négociation qui sont strictement liés à la sécurité et au marché. Une situation qui a pour conséquence une paralysie institutionnelle intérieure avec endiguement de la capacité de négociation à l’extérieur.


Au-delà des lacunes et contraintes techniques auxquelles l’Union africaine fait face, est-il possible d’envisager des perspectives encourageantes pour une diplomatie panafricaine ? On peut logiquement envisager une diplomatie panafricaine à long terme si on s’en tient aux efforts fournis et aux ambitions volontaristes de l’institution. Mais pour y parvenir, certains handicaps structurels méritent d’être surmontés. En plus d’œuvrer à la construction d’un poids économique et commercial dans le monde, l’Union africaine devra impérativement, avec l’appui indispensable des États membres, se doter des instruments de projection de son influence politique sur la scène régionale et internationale. À ce titre, une réflexion axée sur la visibilité de l’institution est requise. Cette visibilité passe par la mise en place d’une diplomatie avec un réseau diplomatique propre et efficace. Sur le plan militaire, le déficit capacitaire et la faiblesse de l’Union à mobiliser suffisamment de troupes devront être réglés par la mise en place de mécanismes institutionnels et opérationnels de mutualisation des forces et de spécialisation, dans la perspective de l’interopérabilité des appareils de sécurité et de défense. Il faudra donc repenser les outils de défense nationaux et dépasser l’improductif culte des souverainetés nationales sur le plan diplomatique et militaire. Les États africains sont cruellement incapables de faire face individuellement à la concurrence internationale. Ils le sont aujourd’hui, ils le seront encore plus demain. C’est donc un impératif stratégique majeur qui s’impose à eux. Sans un transfert de pans importants de souveraineté nationale à l’Union africaine et en l’absence au sein de la Commission de l’Union de personnalités politiques plus influentes sur la scène internationale, avec des structures politico-militaires efficaces, une diplomatie panafricaine portée par l’Union africaine est absolument inconcevable.

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