ANALYSES

Cuba, un embargo traité médicalement

Cuba on le sait est sous embargo unilatéral des Etats-Unis depuis 1962. Son économie en souffre. Pour autant le régime de La Havane a survécu. Et il n’est pas isolé. Le 28 octobre 2014, pour la 23ème fois il a reçu le soutien de l’écrasante majorité des pays membres de l’ONU qui ont demandé la levée des mesures agressives imposées à Cuba par les Etats-Unis. 188 pays en effet en ont demandé la suspension. Seuls deux pays ont voté contre et deux se sont abstenus .


Depuis cinquante ans Cuba a réussi à contourner les pressions de toute sorte exercées par son puissant voisin nord-américain. Longtemps boycotté par un grand nombre de pays proches des Etats-Unis, Cuba a progressivement normalisé ses rapports avec la quasi-totalité de ceux qui suivaient les consignes du Département d’Etat.


Cette capacité de contournement interpelle. L’échec relatif de l’embargo renvoie certes à celui de tous ceux qui ont été mis en œuvre par la « communauté internationale » depuis la création de la SDN (Société Des Nations). La liste est longue et va de l’Italie fasciste à l’Afrique du sud de la ségrégation raciale. Tout embargo bien que reposant sur des décisions collectives est d’application imparfaite. A fortiori le sont ceux qui sont unilatéraux. Cuba a pu à tout moment trouver d’autres partenaires qui lui ont permis, à un coût sans doute élevé, mais permis tout de même d’échapper à un étranglement programmé.


Ces partenaires ont pu aider Cuba à contourner l’embargo des Etats-Unis par intérêt ou par sympathie politique. L’Union soviétique et la Chine pendant la guerre froide, ont naturellement soutenu un gouvernement soumis comme eux-mêmes à l’animosité concurrentielle et idéologique des Etats-Unis. D’autres ont plus simplement échangé avec Cuba parce qu’ils y trouvaient leur compte, comme les investisseurs canadiens, espagnols, français, italiens, brésiliens, colombiens, mexicains, mais aussi chinois et russes, qui ces dernières années ont été attirés par les perspectives offertes par Cuba comme marché et destination touristique.


Ces facteurs d’entendement sont pertinents. Mais ils ne répondent pas de comprendre l’ampleur du vote en faveur de la levée de l’embargo exprimé aux nations-unies le 28 octobre dernier. Les hasards de calendrier, qui peut-être sont moins accidentels qu’il n’y parait apportent un élément d’éclairage et d’interprétation.


Le 28 octobre 2014 pour la 23ème fois l’Assemblée générale de l’ONU a été saisie d’une proposition de résolution déposée par Cuba pour demander aux Etats-Unis de lever cette mesure discrétionnaire et sans légitimité internationale. Et pour la 23ème fois l’Assemblée générale a condamné. Quelques jours plus tôt, lundi 20 octobre, la Havane avait invité les pays de l’ALBA (Alliance Bolivarienne des peuples d’Amérique) à débattre des moyens de lutter efficacement contre le virus Ebola qui affecte l’Afrique de l’ouest.


Les deux évènements auraient-ils un lien que leur ordre du jour apparent, très éloigné l’un de l’autre, ne donne pourtant pas à comprendre ? La conférence du 20 octobre a rassemblé un public choisi. Les présidents, les responsables de la santé des pays membres de l’Alliance bolivarienne étaient là bien entendu. Mais il y avait aussi le président haïtien, des délégations de Grenade et Saint Christophe, de hauts responsables de l’ONU, de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) et de l’Organisation panaméricaine de la santé. Cette réunion a été suivie d’une autre, technique, avec des professionnels de la santé au périmètre plus large, comprenant outre ceux des pays organisations présentes le 20 octobre à La Havane, ceux des Etats-Unis.


La Havane a fait salle comble concernant ces rendez-vous Ebola pour deux bonnes raisons. La première est la réactivité de Cuba au défi Ebola. Depuis septembre 2014 les autorités de la grande ile caraïbe ont envoyé 461 médecins et infirmiers en Guinée-Conakry, au Libéria et en Sierra Leone. La seconde est le savoir-faire médical et humanitaire cubain qui est reconnu de longue date partout dans le monde. On vient se faire soigner à Cuba, parfois de très loin. Et les docteurs cubains sont très demandés aux quatre coins du monde.


Pour secourir les sinistrés du violent séisme qui a affecté Haïti en 2010 les premiers secours sont venus de l’ONG Médecins du monde, et du contingent cubain de premiers secours « Henry Reeve ». Le Brésil en manque de personnels de santé en 2013 a lancé un vaste programme de quadrillage des zones en déficit, intitulé Mais Médicos (littéralement, Plus de médecins). Sur 15 460 spécialistes recherchés par les autorités sanitaires brésiliennes, 11 456 étaient au mois d’août 2014 des professionnels originaires de Cuba. De fait tout pays déstabilisé par un évènement sanitaire affectant lourdement les populations, comme tout gouvernement soucieux de développer au mieux le secteur santé fait spontanément appel à Cuba. C’est vrai de la Bolivie et du Venezuela qui entretiennent avec La Havane une amitié particulière. Mais c’est tout aussi vérifié en Algérie, au Guatemala, en Guinée Equatoriale, en Ouganda, à Panama ou en Syrie.


La liste des accords intergouvernementaux signés par Cuba avec des partenaires étrangers est particulièrement longue. 155 pays sont ou ont été concernés. Ces pays accueillent plus de 42000 docteurs et personnels soignant. Des milliers d’étudiants africains, et latino-américains reçoivent une formation médicale à Cuba. Une école a été créée à cet effet en 1999, et une autre en 2005. On trouve dans cette liste des partenariats inattendus. Celui par exemple de Cuba et le Qatar qui ont inauguré sous la haute autorité de l’émir Shaik Hamad Bin Khalifa Al Thani, au mois de janvier 2012, un hôpital dans la ville de Dukhan.


On peut bien entendu trouver des motivations alimentaires à cette réalité ; la nécessité de trouver les devises nécessaires au paiement des importations de produits alimentaires ou à forte valeur ajoutée dont Cuba a un besoin incontournable. Les autorités cubaines soulignent leur solidarité internationale qui serait naturelle à un pays dont l’identité officielle est communiste et tiers-mondiste. Ils citent en particulier l’Opération miracle qui a permis à des milliers de patients africains ou latino-américains de récupérer la vue. Sans doute ou peut-être. En 2011 ces accords sanitaires ont tout de même rapporté 6 milliards de dollars à l’économie cubaine.


Mais cette valorisation d’un secteur d’excellence, la santé, a aussi des retombées diplomatiques. Elles sont gérées comme telles par le ministère cubain des affaires étrangères qui travaille de concert avec celui de la santé publique. Qu’il s’agisse de coopérations sans contreparties financières ou de contrats sanctionnés par une facturation, Cuba élargit le périmètre de ses amis et associés. La diplomatie d’influence, chère au docteur Joseph Samuel Nye, qui en a fondé la nécessité et le bienfondé dans les équipes présidentielles de Jimmy Carter et Bill Clinton a fait école, hors des Etats-Unis, à Cuba. La médecine est son vecteur.


La Secrétaire générale de la CEPAL, Commission des nations Unies pour l’Amérique latine, a visité et félicité Cuba pour son action contre l’épidémie Ebola. De façon plus insolite le 17 octobre 2014, John Kerry, Secrétaire d’Etat de Barak Obama, a publiquement salué, en dépit de la perpétuation de l’embargo, quelques jours avant le débat des Nations-unies, le rôle d’avant-garde de Cuba dans la bataille contre Ebola. Le 21 octobre, la porte-parole adjointe du Département d’Etat a été plus loin, et a reconnu « la contribution significative de Cuba » dans la bataille contre l’épidémie, laissant en suite entrevoir la possibilité d’une surprenante coopération Cuba-Etats-Unis. L’ambassadeur Ronald Godard représentant les Etats-Unis a été contraint pour la première fois, le 28 octobre à la tribune de l’ONU, de reconnaitre que ces efforts étaient « louables » avant de pouvoir développer les motivations de son pays en faveur du maintien de l’embargo unilatéral. Il est vrai que plusieurs des orateurs qui ont pris la parole pour condamner sa perpétuation, ont appuyé leur position favorable à sa levée sur le rôle joué en matière de santé universelle par le. Gouvernement cubain. Cela a en particulier été le cas du porte-parole de la CELAC (Communauté des Etats latino-américains et de la Caraïbe), entité dont Cuba est membre à part entière et que La Havane a présidée en 2013.


Raúl Castro, Président de la République cubaine, en clôture de la rencontre Ebola organisée le 20 octobre 2014 à La Havane a invité les participants à une nouvelle rencontre le 14 décembre sur le même sujet. On le comprend.

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