ANALYSES

Hongkong, un pays… un système ?

Presse
4 novembre 2014
Occupy Central, le mouvement démocratique qui a démarré il y a tout juste un mois à Hong Kong a jeté un coup de projecteur sur ce territoire. Pourtant, cette volonté de se distinguer et de faire entendre sa voix n’est en rien une surprise pour ceux qui vivent ou qui ont vécu dans ce territoire. Il est le reflet d’une indépendance d’esprit exceptionnelle qui anime l’écrasante majorité des 7,5 millions d’habitants de l’ex-colonie britannique.


Au pouvoir pendant cent-cinquante ans, l’administration coloniale a connu son lot de manifestations, y compris le mouvement gauchiste encouragé par la Chine maoïste, de l’autre côté de la frontière,  au printemps 1967. Il s’agissait alors d’un mouvement violent – qui fit d’ailleurs  une cinquantaine de victimes. On voit bien où veulent en venir les défenseurs d’un « retour au calme », à l’instar d’un Tung Chee-hwa, le premier Chef de l’exécutif de Hong Kong nommé par Pékin dès 1997, et soudainement réapparu sur les écrans – à 77 ans- pour déclarer  « qu’il est temps de mettre fin à cette occupation ». Aujourd’hui vice-président de la CPPCC, sorte de Sénat chinois, Tung est issu d’une influente famille shanghaienne installée à Hong Kong en 1949 et qui a bâti un empire autour du groupe de transport maritime OOCL. Son mandat, de 1997 à 2005, fut caractérisé par des échecs successifs, tant sur le plan de la gestion que de la relation avec la population, très soucieuse de son autonomie par rapport à Pékin.


Son successeur Sir Donald Tsang, ancien pilier de l’administration coloniale surnommé « Donald Duck » et tiraillé entre ses anciennes amours et les nouvelles, ne brilla guère plus aux yeux des Hongkongais. Depuis 2012, c’est Leung Chun-ying qui est aux commandes. Plus encore que ses prédécesseurs, cet homme de 60 ans jouit d’une relation étroite avec Pékin depuis sa jeunesse. On dit même qu’il a fait partie du mouvement communiste clandestin à Hong Kong dans les années 70.


Un tycoon, un ex-colonial, un pro-communiste… Ces trois personnages représentent les trois factions qui gouvernent Hong Kong depuis 1949. Avec leurs entourages, ils tirent les ficelles d’un pouvoir que se répartissent les élites –politiques, mais surtout économiques- du territoire qui n’a en effet cessé de se comporter comme une colonie, et dont le pays de référence a simplement changé en 1997. Une constante, en effet : depuis cinquante ans, le gouvernement du territoire a toujours favorisé le monde des affaires. Ce dernier – à quelques exceptions près, notamment lors du mouvement de Tiananmen en 1989 – a toujours été du côté du pouvoir, pour préserver ses intérêts.


Les déclarations de la communauté d’affaires, étrange reflet de la position de Pékin, ne sont évidemment pas en faveur du mouvement des parapluies, lequel représente une génération « post rétrocession » : contrairement à leurs pairs qui manifestaient par solidarité avec les étudiants de 1989, ceux-là manifestent pour leur avenir, y compris d’ailleurs lorsqu’ils commémorent le massacre de Tiananmen (plus de 100.000 personnes à Victoria Park en juin dernier).


Or l’avenir de Hong Kong est loin d’être aussi radieux que le disent ses dirigeants, ou les tycoons. Depuis vingt ans, la Chine pousse sans vergogne de nombreuses capitales ou grandes villes provinciales : Canton, Shenzhen, Xiamen (au sud) ; Chengdu, Chongqing (à l’ouest) ; Dalian, Tianjin (au nord) ; Hangzhou, Nankin, et surtout Shanghai à l’est. Pendant que Pékin gouverne, Shanghai est en train de devenir la capitale économique et financière de l’Asie. Sa population de 24 millions d’habitants, son tissu industriel, ses services dans tous les domaines, son aptitude au commerce, son architecture même font de cette autre ville mythique –mais totalement imbriquée dans le système chinois- un concurrent quasi-indétrônable pour Hong Kong qui, en 1997, a perdu son originalité.


Outre leur inquiétude face à l’avenir, les habitants du territoire veulent demeurer différents. Ils n’entendent pas rentrer dans le rang et devenir une ville comme une autre, un « Shanghai du sud » comme lorsqu’on parlait il y a vingt ans d’un « Hong Kong du nord ». Le mouvement démocratique est une chance pour Hong Kong : il a déjà permis au territoire de retrouver son âme, et de s’inscrire dans l’avenir.


*Philippe Le Corre est chercheur à la Brookings Institution (Washington) et à l’IRIS (Paris). Auteur de Après Hong Kong, Chinois et cosmopolite, un pays deux systèmes ? (Autrement)



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