ANALYSES

Tunisie : l’organisation de la transition démocratique

Tribune
4 novembre 2011

Le 23 octobre prochain, les citoyens Tunisiens seront appelés à participer à la première élection libre de leur histoire. Le paysage politique post-révolutionnaire se dessine lentement mais sûrement. Le système de parti unique – ou de domination hégémonique – du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), a laissé place à un multipartisme effréné. Certes, une période de flottement constitutionnel et politique a suivi le départ précipité du président Ben Ali au soir du 14 janvier. Toutefois, malgré les tensions et autres approximations, la transition démocratique en Tunisie ne se fait pas dans l’anarchie : elle s’inscrit dans un cadre juridique et institutionnel. Dans l’attente de l’élection de l’Assemblée nationale constituante et de l’adoption de la Constitution de la nouvelle République Tunisienne, la période post-révolutionnaire est régie par une série de règles, sous l’impulsion d’un ensemble d’acteurs (hommes politiques, syndicalistes, journalistes et autres bloggeurs). La situation d’urgence, l’exigence de la continuité de l’État et la préparation de l’échéance électorale du 23 octobre impliquaient l’adoption et la mise en oeuvre d’un tel dispositif transitoire. Il convient donc d’en décrire les principaux éléments.


La fin de l’ordre constitutionnel du régime Ben Ali


Adoptée le 1er juin 1959, la Constitution de la Première République tunisienne a été façonnée « par et pour » Habib Bourguiba, avant d’être en partie « refaçonnée » par et pour Ben Ali. Elle a en effet fait l’objet d’une série de révisions constitutionnelles qui a conforté le pouvoir présidentiel. La chute du régime de Ben Ali s’est traduite par la suspension – ou l’abrogation de fait – de la Constitution de 1959. Le décret-loi n° 2011-14 du 23 mars 2011 a été adopté et se présente comme le texte de base de cette période de transition, dont il définit le cadre juridique général. Sur ce fondement, la chambre des députés, la chambre des conseillers, le conseil économique et social et le Conseil constitutionnel ont été dissous. Le pouvoir exécutif est exercé par le Président de la République par intérim, assisté d’un gouvernement provisoire dirigé par un Premier Ministre (conformément à l’art. 6). Les textes à caractère législatif sont promulgués sous forme de décrets-lois signés par le Président de la République par intérim, après délibération du conseil des ministres (art. 4), ce qui suppose un accord entre les deux têtes de l’exécutif transitoire incarnées par le président de la République Fouad Mebazaa et le premier ministre Béji Caïd-Essebsi.


La préparation de l’élection de l’Assemblée nationale constituante


Les principaux décrets-lois sont proposés par une instance consultative qui joue un rôle clef dans cette période de transition : l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique (ISROR). Après plus d’une dizaine de séances ponctuées par certains échanges houleux et l’adoption de multiples amendements au projet initial, les travaux de l’ISROR ont notamment arrêté, le 11 avril 2011, le projet de décret-loi relatif à l’élection de l’Assemblée nationale constituante. Un vote a été nécessaire sur trois sujets essentiels : le choix du mode de scrutin, la durée de l’inéligibilité des ex-responsables du RCD et le principe de parité « homme-femme » sur les listes électorales. Sur le premier point, l’article 32 du décret-loi tranche en faveur du mode de scrutin à un tour, avec une répartition des sièges à la proportionnelle de listes, avec le mécanisme des plus forts restes. Ce choix est censé favoriser a priori les petits partis, suivant le souci de garantir le pluralisme politique. Cette option devrait donc répondre à l’exigence de représentativité de l’Assemblée élue. Ensuite, la question du traitement de la classe dirigeante de l’ancien régime a fait l’objet d’un débat tendu, dont la conclusion est contenue à l’article 51 du projet de décret-loi. Les membres du Conseil ont opté pour l’inéligibilité de toute personne ayant occupé des postes de responsabilité au sein des gouvernements successifs et des structures du RCD, pendant les 23 ans de pouvoir de Ben Ali. Finalement, suite à un compromis avec le gouvernement provisoire(1), il n’est plus tenu compte de la durée de la participation au sein des structures du RCD pour déterminer l’inéligibilité des personnes qui y ont occupé des postes de responsabilité sous le régime du dictateur déchu. A cette fin, des listes doivent être établies conjointement par le Conseil de l’ISROR et le Gouvernement. Enfin, l’article 16 du décret-loi consacre le principe de la parité : la présentation des candidatures doit tenir compte de la parité entre femmes et hommes, avant un classement des candidats dans les listes, sur la base du principe de l’alternance, avec annulation des listes qui ne respectent pas cette règle. En adoptant la parité assortie d’une alternance obligatoire sur les listes électorales, l’article 16 fait peser une contrainte juridique et politique sur des partis à peine structurés. Alors que cette proposition avait été jugée inapplicable (en particulier dans certaines régions, où, par tradition, les femmes ne participent pas à la chose publique), le gouvernement transitoire a finalement exprimé son soutien au principe des listes paritaires.


Après une certaine confusion et des hésitations sur la date de l’élection de l’Assemblée nationale constituante (d’abord prévue le 24 juillet, puis reportée au 23 octobre), le calendrier électoral est clairement fixé. Le processus électoral est structuré par diverses étapes organisées par l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE). L’ISIE a publié un Code de conduite engageant tous les intervenants dans l’élection de l’Assemblée Nationale Constituante et tente par ailleurs de définir le rôle des médias dans le processus électoral. La publicité des partis politiques et la publication de tous sondages politiques seront interdites à compter du 12 septembre. Toutefois, la légalité de telles initiatives est discutable : l’ISIE n’a en effet aucune autorité sur les instituts de sondage, les médias ou les partis ainsi que sur leurs actes. De telles décisions relèvent juridiquement de la compétence du pouvoir législatif exercé par le Premier ministre et le président de la République.


Pour encadrer le processus électoral, le gouvernement tunisien a fait appel à l’expertise et à l’expérience des organisations internationales (le Programme des Nations Unies pour le développement, en particulier) et européennes (Conseil de l’Europe et Union européenne). Sur ce point, il convient également de souligner particulièrement l’implication des ONG. Ainsi, sur invitation de la commission électorale tunisienne, le Centre Carter, organisation à but non lucratif basée à Atlanta et présidée par l’ancien chef d’Etat américain, vient de lancer une mission internationale d’observation pour superviser les préparatifs des élections du 23 octobre. Concrètement, des observateurs sont mobilisés pour suivre le processus d’inscription des électeurs et les préparatifs électoraux.


Si le cadre juridique et institutionnel du processus de transition démocratique est [grosso modo fixé, son efficacité doit être appréciée à l’aune de l’amélioration de la situation économique et sociale du pays. Or, la transition est encore loin d’être acquise en la matière.

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