ANALYSES

Tunisie : Ennahda parviendra-t-il à conserver sa base électorale ?

Presse
22 octobre 2014

Les islamistes d’Ennahda font course en tête pour ces élections législatives. Quelles sont leurs chances de remporter la majorité au Parlement ?


Il faut se méfier des sondages d’opinion. Il s’agit d’une pratique récente dans le pays. Leur fiabilité est loin d’être garantie, ils sont d’ailleurs contestés du fait de leur méthodologie. Parfois, ils ont été commandés par les partis eux-mêmes.


Malgré tout, Ennahda est susceptible d’arriver en tête de ces élections. Les islamistes bénéficient d’un noyau dur, d’une réelle base électorale, qui ne remet pas en cause son vote et qui confirmera son choix en faveur d’Ennahda.


Ennahda a été vivement critiqué durant toute la durée de son passage au pouvoir depuis 2011. Assiste-t-on à un retour en grâce des islamistes ou ces derniers ne peuvent-ils compter que sur leur base électorale ?


Si tout effondrement électoral est exclu, un effritement de ses résultats ne l’est pas. Il n’y a pas de dynamique électorale favorable à Ennahda. L’objectif est véritablement de consolider leur base électorale qui s’était imposée lors des premières élections libres d’octobre 2011. Ce serait une victoire pour eux que d’arriver en tête.


Cette ambition est à la fois réaliste et difficile à atteindre. Réaliste car il existe un noyau dur électoral favorable à Ennahda et qui ne remet pas en cause son soutien.


Difficile à atteindre car parmi ceux qui ont voté pour les islamistes, certains ont été déçus par leur défaillance au pouvoir. Les islamistes sont tenus pour responsable de l’insécurité qui a frappé le pays et pour la crise économique dans laquelle il est plongé. Ils ont d’ailleurs le pouvoir au début de l’année pour ne pas avoir à assumer la responsabilité du bilan de la période de transition.


Après ces trois ans de pouvoirs, les candidats d’Ennahda ont-ils changé les grandes lignes de leur discours ?


Globalement, Ennahda tente d’afficher aujourd’hui un discours plus moderne, une vitrine plus jeune et plus en phase avec la société. Cela s’est traduit par une campagne de communication assez moderne, de type occidental et par un renouvellement de certaines figures du parti. De nouveaux candidats se sont imposés et vont même remplacer ceux qui avaient pourtant été élus au sein de l’Assemblée nationale constituante.


C’est une volonté de la part d’Ennahda de renouveler un peu le parti et d’être plus connecté avec une société jeune et féminisée.


C’est un élément important qui s’est prolongé par un discours prônant l’unité nationale, le consensus et agitant le spectre de la contre-révolution benaliste. Le projet de société fondé sur les valeurs islamo-conservatrices demeure naturellement présent, mais sans volonté de l’imposer, y compris dans l’hypothèse d’une victoire électorale. D’ailleurs, ils n’ont pas l’ambition d’exercer seuls le pouvoir. Cette démarche pragmatique et assez ouverte semble tirer les leçons de l’échec des Frères musulmans égyptiens.


Si Ennahda obtenait la majorité au Parlement, assisterions-nous de nouveau à cette fracture politique radicale qui oppose les islamistes au reste de la société tunisienne depuis la fin de la révolution ?


Qu’Ennahda gagne ou pas, les islamistes risquent de constituer un acteur essentiel de la future majorité au pouvoir. A partir du moment où ils affirment qu’ils ne veulent pas exercer le pouvoir seuls, il y aura forcément une coalition. Ils ont déjà démontré leur capacité à nouer des alliances avec partis de centre-gauche. Si on s’en tient à leur stratégie affichée, cette coalition se voudra la plus large possible. Tout dépendra des résultats et de la volonté d’autres formations de nouer un pacte de majorité avec eux.


En revanche, la fracture qui se dessine c’est celle opposant Ennahda et Nidaa Tounes de Béji Caid Essebsi. Le système de partis tend à se structurer autour d’une bipolarisation entre de ces deux partis. Il y aurait donc Ennahda et ses alliés d’un côté et Nidaa Tounes et ses alliés de l’autre.


Ennahda sera au centre de la question car les partis devront se positionner pour ou contre les islamistes.


Cette fracture politique est-elle durable ?


L’affirmation de Nidaa Tounès sur la scène politique change la donne. Il profite de l’aura de son leader Béji Caid Essebsi (candidat à l’élection présidentielle) e se caractérise à la fois par son opposition rhétorique aux islamistes et par la présence en son sein d’anciens membres du régime de Ben Ali. De ce fait, certains partis de gauche sont radicalement opposés tant à Ennahda qu’à Nidaa Tounes.

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