ANALYSES

Reprise des négociations sur le nucléaire iranien : ce sur quoi l’Occident pourrait céder sans danger

Presse
14 octobre 2014
Les négociations sur le programme nucléaire iranien reprennent à Genève mercredi entre Téhéran et le groupe des six (Etats-Unis, France, Royaume Uni, Russie, Chine et Allemagne). Alors qu’elles sont pour le moment dans l’impasse et que les parties prenantes se sont données jusqu’au 24 novembre pour trouver un accord, sous quelles conditions cet accord pourrait-il voir le jour ? A quelle échéance, alors que le président iranien estime un accord possible « entre trois et six mois » ?

Thierry Coville : Pour qu’il y ait un accord il faut que chacune des deux parties fassent preuve de pragmatisme et chacun doit revoir ses prétentions. L’Iran doit accepter qu’il y ait moins de centrifugeuses dans l’accord final.

Rappelons que l’objectif fixé par l’Ayatollah Khamenei en juillet dernier était de se doter à terme de 190 000 centrifugeuses. L’Iran a beaucoup investi dans ce programme. Les Occidentaux doivent comprendre que pour l’Iran détruire des centrifugeuses est inacceptable pour le gouvernement d’Hassan Rohani qui doit vendre cet accord y compris aux plus durs. Un accord est possible mais je ne crois pas qu’il y aura un gagnant ou un perdant. En jeu il y a un accord final sur le nucléaire. A mon avis un accord avant le 24 novembre est jouable. Si les deux parties ont accepté de remettre une deuxième partie de négociations en juillet c’est qu’elles pensent qu’il y a une possibilité d’aboutir.

Comment analyser le récent geste des Etats-Unis concernant la réduction du nombre de centrifugeuses iraniennes révélé par Associated Press ? Alors que Washington souhaitait initialement le ramener à 1500 les Etats-Unis seraient désormais prêt à se contenter de 4500 centrifugeuses même si Téhéran souhaite en conserver 9400 sur les 19 000 actuelles…

A mon avis dans cette négociation chacun place la barre le plus haut ou le plus bas possible dans l’espoir que le chiffre final sera plus proche de ses intérêts. Il faudra que chacune des deux parties accepte de revoir ses objectifs initiaux. je suis d’accord avec François Nicoullaud qui dit qu’il vaut mieux un « mauvais » accord » que pas d’accord du tout. Il ne s’agit pas pour l’occident de tout accepter mais un « mauvais » accord peut déjà permettre de rétablir la confiance entre les deux parties. Par ailleurs, une absence d’accord pourrait conduire à une remontée des tensions entre l’Iran et l’occident (et affaiblir considérablement le camp des modérés en Iran). Un accord – pas à n’importe quel prix toutefois – aurait l’avantage de rétablir la confiance des deux côtés et ça ne peut que favoriser un règlement pacifique de cette question. Il y a une volonté américaine de parvenir à un accord mais ils doivent le vendre aussi auprès du Congrès ce qui n’est pas facile car il y a des Républicains voire des Démocrates qui partent du principe qu’il faut être très durs vis-à-vis de l’Iran.

De la même manière, sur quels points pourraient céder Téhéran ? Alors que l’Iran est un pays de transit pour des djihadistes venant ou revenant d’Afghanistan et que plusieurs responsables d’Al Qaïda sont actuellement en résidence surveillée en Iran, qu’est-ce que pourrait apporter un accord à ce niveau ?

Un autre point sur lequel l’Iran est prêt à signer est le protocole additionnel du traité de non-prolifération qui donnerait l’autorisation à l’AIEA de faire des visites surprises l’Iran. L’Occident et l’Iran ont des intérêts communs sur des dossiers régionaux : les Etats-Unis et l’Iran sont intéressés par la stabilité de l’Afghanistan et un rôle le plus faible possible des talibans. Ils veulent aussi une stabilité en Irak et lutter contre les terroristes dans ce pays. Le point de vue américain est donc de négocier avec l’Iran pour tenter de sortir des crises régionales. Tout ceci n’est pas explicite dans les négociations sur le nucléaire mais si l’étape de l’accord sur le nucléaire est passée on peut passer aux autres, c’est-à-dire la lutte contre l’Etat Islamique et contre al-Qaïda. Cela fait des années que les Etats-Unis accusent l’Iran d’héberger des membres d’al-Qaïda. Le contexte régional se prête à ces intérêts convergents et on se rend compte que l’Iran peut avoir un rôle utile et agir avec l’Occident pour résoudre un certain nombre de crises.

Où en est actuellement la coopération et l’échange d’informations entre les Etats-Unis et l’Iran dans la lutte contre l’Etat islamique en Irak ?

Les Iraniens l’ont admis : ils ont des conseillers militaires en Irak tout comme les Etats-Unis. Les deux pays n’ont pas parlé explicitement de coopération militaire contre l’Etat islamique mais je serais surpris qu’il n’y ait pas eu d’échange d’informations. Ils ont commencé à se reparler et ils ont plus confiance. Il faut se rappeler qu’ils ont commencé à discuter en mars 2013 sous la présidence Ahmadinejad. L’échange d’informations entre les deux est déjà pas mal mais il faut se rappeler que les Iraniens avaient déjà fourni des informations sur les localisations des bases des talibans en Afghanistan à l’époque de la guerre contre eux.
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