ANALYSES

Accord Afghanistan/Etats-Unis: assez pour ne pas voir un « nouvel Irak » ?

Presse
3 octobre 2014

Abîmées sous la présidence d’Hamid Karzaï, les relations entre Kaboul et Washington devraient-elles s’améliorer du fait de l’accord de sécurité bilatéral (BSA) signé tout récemment ?


Effectivement, les relations entre Hamid Karzaï, le président sortant, et les Etats-Unis ont connu des tensions importantes au cours des deux dernières années. Mais cette tension n’était pas dû au BSA. Hamid Karzaï avait négocié cet accord et a convoqué la « Loya Jerga » (la grande assemblée traditionnelle afghane) pour le ratifier. Mais, en fin de compte, il pris la décision de ne pas le signer, et a laissé son successeur le faire.


Hamid Karzaï était devenu quasiment l’opposant aux opérations américaines contre les taliban, notamment les bombardements aériens et les opérations nocturnes contre les villages et les foyers des Afghans. Ce faisant, Karzaï voulait effacer l’image d’un dirigeant mis au pouvoir par l’étranger, donc fantoche ; dans l’histoire de l’Afghanistan, plusieurs rois ou présidents qui sont arrivés au pouvoir grâce à l’aide des puissances étrangères ont laissé une mauvaise image d’eux.


D’autre part, Karzaï était favorable à des négociations avec les taliban qui étaient pour lui « des frères mécontents ».


La signature attendue du BSA va contribuer effectivement à l’amélioration des relations entre les deux pays.


En signant le BSA, Ashraf Ghani ne rend-t-il pas toute ébauche de négociations impossible avec les taliban ? Est-ce stratégiquement un bon choix ?


Il est vrai que Ashraf Ghani est favorable à des négociations avec les taliban, et sur ce registre, il poursuit la politique de Karzaï.


Mais dans l’immédiat, il a besoin des Américains pour maintenir le pouvoir de Kaboul en place et éviter qu’il ne tombe comme un château de carte aux mains des Talibans. Il ne peut pas financer, sans l’aide des Etats-Unis et de l’OTAN, la formation et l’équipement de l’armée, et payer les salaires – aide estimée à 5 milliards de dollars à partir de l’année prochaine.


Le pouvoir afghan ne peut même pas financer son budget d’Etat, un peu moins de 4 milliards de dollars cette année (moins que la dépense pour l’armée) sans l’aide financière internationale.


Il espère être dans une position de force en deux ans (fin de la présence américaine et de BSA) pour mieux négocier avec les taliban. C’est un pari difficile.


Officiellement, les Américains devront poursuivre l’équipement et l’entraînement de l’armée afghane au combat et à la lutte antiterroriste. Au-delà, ne doivent-ils pas aussi (et surtout) instiller un véritable sentiment national chez ses soldats – afin de voir naître une authentique armée nationale ?


Ceci ne dépend pas des Américains ou des Occidentaux. L’absence d’une cohérence nationale ou de sentiment national au sein de l’armée est à l’image de la société afghane : encore divisée en ethnies.


Les Afghans doivent avancer dans le processus de l’apparition d’une véritable nation (les élections présidentielles ont montré que le vote est encore largement communautaire) ; c’est à ce moment-là que l’Etat afghan pourra voir une armée ou même toutes autres institutions vraiment nationales.


La date-butoir de janvier 2017 aurait, selon certains experts, « sapé » la mission et donné le sentiment à la région que les Américains partent en courant. Est-ce effectivement un risque ?


Il est vrai que la guerre contre les taliban uniquement sur le plan militaire a échoué, car ils n’ont pas été vaincus ni même affaiblis après 1O ans de guerre.


Mais les Américains ont changé de stratégie, ils cherchent maintenant à négocier avec eux. Le passé ne plaide pas en faveur de cette approche, mais il n’en existe pas d’autre pour Obama, car une solution uniquement militaire a échoué.


L’option « zéro soldat » dès 2017 ne fait-elle pas courir le risque pour l’Afghanistan de devenir un « nouvel Irak », aujourd’hui totalement à la merci de l’EI ?


C’est justement pour empêcher que l’exemple irakien ne se reproduise que Washington tenait à la signature de la BSA.


En Irak, en absence d’un tel accord – refusé par Bagdad -, les Américains ont été obligés de retirer la totalité de leur soldats, alors que la stabilité n’était pas encore au rendez vous et que Da’ech, qui s’appelait l’Etat islamique en Irak (EII), était actif.


Quel est l’état des forces talibanes à l’heure actuelle ?


Personne ne peut vraiment le dire. Une chose est certaine, ils sont de plus en plus actifs, et sur quasiment tout le territoire, même dans des zones qui, traditionnellement, ne sont pas leur zone d’influence.

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