ANALYSES

La crise alimentaire pourrait se propager à d’autres pays

Presse
3 septembre 2010
Philippe Hugon - France 24.fr

Alors que des milliers de Mozambicains protestent depuis trois jours contre la vie chère, Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris, nous explique pourquoi cette crise alimentaire pourrait s’étendre à d’autres pays.


Pouvez-vous nous expliquer comment le Mozambique est arrivé à cette situation de crise alimentaire et d’émeutes ?

Alors que le Mozambique se relevait timidement, ces dernières années, de la guerre civile qui l’avait durement frappé (1976-1992), le pays a été touché de plein fouet par la crise alimentaire de 2008. De violentes manifestations avaient alors eu lieu, dénonçant la vie trop chère. Or, ces dernières semaines comme à cette époque, les autorités mozambicaines ont répercuté brutalement et de manière récurrente la hausse des tarifs des produits internationaux sur les prix des produits locaux. Par exemple, le prix du pain a augmenté de 25%. Ces hausses touchent forcément, en premier lieu, les plus pauvres. Quand on sait que plus de la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté et pour beaucoup dans des bidonvilles, il n’est pas étonnant de voir des émeutes éclater, notamment dans des zones urbaines comme Maputo. Ces phénomènes ne sont donc ni uniques ni surprenants. Une singularité est toutefois à noter : ces mouvements de protestations, contrairement à ce qui a pu se passer dans d’autres pays africains, ne sont pas impulsés par l’opposition. Ils découlent d’une spontanéité populaire très forte.


Est-ce que cette crise est spécifique au Mozambique ou s’inscrit-elle dans une problématique plus globale ? Ces émeutes pourraient-elles s’étendre à d’autres pays ?

Cette crise alimentaire s’inscrit dans un contexte international. Il y a une raréfaction de l’offre alimentaire au niveau global et une forte instabilité sur les marchés : on l’a vu cet été avec l’embargo russe sur le blé. On a donc une augmentation générale des prix des denrées alimentaires qui laisse présager d’une nouvelle crise. Elle ne devrait certes pas être aussi grave qu’en 2008, dans la mesure où les stocks alimentaires de la FAO sont bien constitués. Néanmoins, la  crise alimentaire et les émeutes au Mozambique pourraient tout à fait se propager à d’autres pays, tant que les prix des produits essentiels comme le riz, le blé ou le maïs ne seront pas stabilisés. Cela s’est toujours passé ainsi :  au Cameroun, en Mauritanie, au Burkina Faso… La flambée des prix des denrées alimentaires entraine toujours des situations extrêmes.


Quelles sont les réponses que peuvent apporter les autorités mozambicaines ou d’autres instances – comme le FMI ou le G20 ?

Je pense que les réponses doivent être prises en amont du cas du Mozambique. Il faut stabiliser les prix des produits essentiels. Certains d’entre eux doivent pouvoir échapper à cette flambée générale. Le blé ou le riz ne devraient pas être considérés comme des produits financiers classiques, soumis aux vicissitudes des marchés. Lors de la crise alimentaire et financière de 2008, les grandes puissances ont certes renfloué les banques, mais elles n’ont pas pris de grandes mesures concernant les produits de première nécessité. Sans remettre en cause notre système, il est tout à fait envisageable de trouver un accord international sur ces denrées, afin de réguler le marché. Quand on sait que, dans quelques années, il faudra nourrir plus de 9 milliards d’individus… il serait temps d’y penser sérieusement

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