ANALYSES

Proche-Orient : inaccessible accord

Presse
9 septembre 2010
Karim Émile Bitar - Témoignage chrétien

Alors que s’ouvrent à Washington des négociations israélo-palestiniennes, Barack Obama a-t-il en mains des atouts dont ne disposaient pas ses prédécesseurs ?


Bien qu’ayant une vision du monde infiniment plus saine et une compréhension des enjeux moyen-orientaux infiniment plus profonde que celle de George W. Bush, Barack Obama n’a ni les moyens de ses ambitions ni la volonté de payer le prix qu’il faut pour se les donner.


Dans le contexte actuel, il n’a pas le moindre atout dans son jeu, tant furent amères les désillusions successives depuis le lancement en 1991 du « processus de paix ». Mais à y réfléchir, on se dit que c’est peut-être là, dans le fait que personne, absolument personne, n’attend quoi que ce soit de concret de ce nouvel épisode, que gît la chance que pourrait saisir le président américain. Les déceptions étant toujours proportionnelles aux espoirs suscités, la surprise éventuelle ne peut cette fois-ci être que positive. Pour les opinions publiques arabes, ce soi-disant processus de paix est perçu comme un écran de fumée permettant à Israël de gagner du temps, de poursuivre la colonisation et de tuer ainsi dans l’œuf toute possibilité de créer un Etat palestinien viable. En effet, la droite radicale aujourd’hui au pouvoir en Israël ne cache pas son hostilité à la « solution à deux Etats. » Tout comme la charte du Hamas ne reconnaît pas l’existence d’Israël, la charte du Likoud rejette le principe même d’un Etat palestinien. Et si Benjamin Netanyahu a semblé céder sur ce point à l’insistance de Barack Obama, il a aussitôt rassuré ses alliés d’extrême droite en leur disant que les conditions qu’il proposerait seraient tellement rédhibitoires que les Palestiniens ne pourraient que les refuser.


Quand bien même Israël accepterait de lâcher du lest, les divisions palestiniennes feraient échouer le processus. Mahmoud Abbas, tres affaibli, est considéré par le Hamas aussi bien que par les Palestiniens laïcs indépendants, comme un président corrompu, velléitaire et manquant d’épine dorsale. Son mandat a expiré il y a prés de deux ans et seuls un artifice juridique et l’incapacité d’organiser des élections lui permettent de se maintenir au pouvoir. II est en conflit larvé avec son Premier ministre, le technocrate Salam Fayyad, très apprécié des Occidentaux. II a avalé depuis dix ans des dizaines de couleuvres au nom du processus de paix, sans obtenir en retour les plus minimes des concessions. Sous pression de ses protecteurs politiques et des financiers de l’Autorité palestinienne, les Etats-Unis, l’Europe et l’Arabie Saoudite, il a accepté de revenir sans conditions préalables à la table des négociations alors qu’il exigeait auparavant un moratoire sur la colonisation.


Le Hamas profite de cette déliquescence de l’Autorité palestinienne et poursuit son entreprise d’islamisation de la cause palestinienne. A Gaza, les libertés publiques se réduisent comme peau de chagrin, en dépit d’une vaillante résistance des femmes et d’une société civile peu encline à accepter l’obscurantisme religieux.


Face à ces obstacles, les diplomates américains et européens se sont fait une raison : il ne s’agit plus de résoudre le conflit israélo-palestinien mais simplement de trouver les mécanismes d’une gestion de crise. C’est dans cette optique que Barack Obama espère réaliser une modeste percée. S’il lui est littéralement impossible de parvenir à un accord quant au statut final, il n’est en revanche pas exclu que ces négociations puissent accoucher soit d’un « shelf agreement » qui resterait lettre morte, soit d’un accord a minima qui permettrait de sauver la face, jusqu’a ce que le dossier iranien ait été résolu. Paradoxalement, les mêmes facteurs qui rendent impossible une solution définitive vont permettre de faciliter cet accord temporaire. La faiblesse (et la dépendance économique) de l’Autorité palestinienne est telle qu’il lui est impossible de résister aux demandes américaines, fussent-elles humiliantes. Netanyahu est quant à lui conscient de la dégradation de 1’image d’Israël dans le monde et n’a rien à gagner à se montrer trop intransigeant. II a en outre besoin de rester arrimé aux Etats-Unis et de les avoir à ses côtés face à l’Iran.


Encore une fois, le Proche-Orient semble donc se diriger, dans le meilleur des cas, vers un compromis temporaire et branlant. Mais ce sera le chant du cygne pour les accords d’Oslo et la « solution à deux Etats.» Une nouvelle phase va bientôt s’ouvrir, qui durera probablement une cinquantaine d’années et qui sera marquée par la revendication de l’égalité des droits sur I’ensemble du territoire israélo-palestinien et par la recherche d’une formule juridique qui ferait cohabiter deux peuples sur un même territoire. II n’y a guère d’alternative honorable. Martin Buber, Albert Einstein et Hannah Arendt l’avaient compris il y a déjà longtemps

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