ANALYSES

L’idée identitaire va faire son chemin

Presse
20 octobre 2010
Jean-Yves Camus - De pote à pote

Nul ne peut prédire l’avenir du Bloc identitaire devenu en octobre 2009 un parti politique à vocation électorale. Les idées qu’il défend ont par contre une très bonne chance de faire leur chemin. La raison est simple: l’idée identitaire, c’est-à-dire l’ethno-différentialisme qui stipule l’impossibilité totale d’assimilation des populations d’origine extra-européenne et de culture musulmane, est cohérente avec l’évolution du cadre de référence dans lequel s’expriment les identités individuelles, qui n’est plus celui des pays souverains mais celui de la mondialisation et de la supranationalité.


Loin d’être une simple continuité des groupuscules du style Unité radicale, le Bloc identitaire a rompu avec la logique groupusculaire. II possède des cadres de valeur, structurés intellectuellement et qui ont évolué sur des questions importantes comme l’antisémitisme et le négationnisme. Demeure chez eux une croyance profonde dans l’impossibilité de l’islam à s’inscrire, en raison des valeurs qui lui sont intrinsèques, dans la communauté nationale. C’est évidemment un point majeur mais peut-être pas I’essentiel.


L’essentiel est que les identitaires, nébuleuse plus large que le seul Bloc du même nom, ont une définition de I’identité qui s’inscrit à un triple niveau : I’identité régionale ou locale, I’identité nationale française et l’identité civilisationnelle européenne, auxquelles il faut ajouter le sens de l’appartenance à une communauté militante. Le maître-mot de cette idéologie est l’enracinement. Sa traduction en termes de projet de société peut se transcrire dans les mots « une terre un peuple », slogan d’ailleurs utilisé par un groupe de la mouvance qui a fait des choix tactiques et philosophiques différents de ceux du Bloc.


L’idée identitaire a un avenir qui pourrait influencer le débat sur l’identité nationale. En effet, la définition barrésienne que donne une large partie de la droite de ce que signifie appartenir à la communauté nationale était peut-être audible dans le cadre des Etats-Nations, de la stabilité économique et sociale, mais l’est beaucoup moins dans celui où tout le monde a intégré que la mondialisation, l’Europe (au moins fédérale) et l’instabilité géopolitique étaient des données irréversibles ou du moins de très longue durée. Aussi excluante qu’elle soit, la notion de I’identité nationale que défend la droite du gouvernement reste assimilationniste et non totalement ethico-culturelle. Mais elle a ouvert la porte à une surenchère qui ne peut qu’aboutir à une large adhésion à I’ethno-différentialisme, selon lequel un « Français de souche » n’est pas seulement un enfant né en France de deux parents français, mais aussi un individu qui adhère à un projet de civilisation européenne défini par I’histoire depuis bien avant l’émergence des nations, par un stock génétique au socle immuable, par un cadre de références laïques mais modelé par l’empreinte chrétienne.


Les identitaires appartiennent à une nouvelle famille des droites populistes qui n’est pas l’extrême-droite traditionnelle : ils ne sont ni souverainistes ni nationalistes au sens de « la France seule ». Comme la Ligue du nord italienne, les populismes anti-islam scandinaves ou Geert Wilders, ils parlent aux gens des milieux où être français était un ressenti, une évidence qui allaient de soi et qui se sentent menacés par le multiculturalisme. Ils parlent aux victimes de la concurrence implacable qu’induit la mondialisation et dont le statut social vacille, à cette partie du monde du travail qui a toujours vécu I’immigration non seulement comme une concurrence mais aussi comme une remise en cause de ses valeurs, souvent autoritaires et ethnocentrées.


L’évolution du Front national sous la direction de Marie Le Pen ira peut-être dans le sens des idées identitaires, élargir considérablement leur espace politique. Mais bien au-delà de l’extrême-droite, la brèche est ouverte car le débat sur l’identité nationale et la surenchère auquel il a donné lieu ont accéléré la fin du consensus sur la définition de ce que signifie être français.

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