ANALYSES

France-Chine : «Les concessions, une spécialité française, pas chinoise»

Presse
5 novembre 2010

Alors que le président chinois Hu Jintao est reçu en grande pompe par Nicolas Sarkozy pour une visite à forte connotation économique, Jean-Vincent Brisset, spécialiste du monde chinois, explique sur TF1 News pourquoi la France a mis de côté les droits de l’homme.


Après Nicolas Sarkozy en Chine pour l’Exposition universelle, voici donc Hu Jintao en France en visite d’Etat avec un accueil en grande pompe à l’aéroport. La brouille franco-chinoise née du passage de la flamme olympique en 2008 et de la question tibétaine est-elle définitivement terminée ?

Pas tout à fait. Elle est terminée, mais ce n’est pas définitif. Pour une simple raison : l’histoire des relations entre la France et la Chine peut être résumée par "je t’aime, moi non plus". Les périodes de réconciliation succèdent aux moments de brouille et ainsi de suite. Aujourd’hui, les sujets de brouille sont mis de côté car la France a besoin de la Chine et vice-versa.


En quoi les deux pays ont-ils besoin l’un de l’autre aujourd’hui ?

Tout d’abord, sur le plan économique. La France a des choses à vendre à la Chine. Et comme celle-ci, sorte d’"usine du monde", est un fournisseur, un arrêt des relations économiques pèserait sur le pouvoir d’achat des Français en faisant augmenter les prix. De son côté, la Chine a besoin de vendre et d’exporter. Elle a aussi besoin de technologies, dont le transfert est généralement prévu à des prix abordables dans les grands contrats.

Ensuite, sur le plan politique, Nicolas Sarkozy cherche l’appui chinois avant sa présidence du G20. Et pour Pékin, une relation franco-chinoise apaisée lui permet d’éviter de se retrouver face à un bloc uni Etats-Unis-Union européenne  qui l’obligerait à se conformer aux règles strictes du commerce international sur de nombreux points : réévaluation de sa monnaie,  propriété intellectuelle et industrielle, commerce avec les pays difficiles, sans oublier les problèmes de prolifération. Quand le monde ne s’unit pas contre elle, la Chine peut faire ce qu’elle veut.


"Deux poids, deux mesures"


Pour mettre fin à une brouille, il faut faire des concessions. Quel camp en a fait plus que l’autre ?

Les concessions, ce sont une spécialité française, pas chinoise. Et le but en est très simple : il s’agit de financer les achats et les contrats. Mais il faut faire très attention. J’entends souvent l’expression "contrats juteux". Or ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de zéro que c’est forcément intéressant pour le vendeur et pour la France. Parfois, cela s’accompagne de prêts aidés, à des tarifs minimum. Au final, ce n’est pas forcément le jackpot. Et si les transferts de technologies sont parfois anciens, ils sont aussi modernes. Cela prive ensuite la France de rentrées d’argent.

Côté concessions politiques, la France a probablement accepté que la réévaluation du yuan ne soit pas mise en exergue au G20 et que les problèmes de concurrence déloyale, de contrefaçon ou de propriété intellectuelle soient mis au second plan.


La visite est surtout destinée à l’économie. Où sont passés les droits de l’homme ?

En règle générale, quand un dirigeant français vient en Chine ou qu’un dirigeant chinois vient en France, les droits de l’homme sont abordés publiquement pour les caméras. Ensuite, en privé, ils sont évacués rapidement. C’est une sorte d’accord tacite validé par les Chinois qui peut se résumer à "vous avez droit à votre minute de droits de l’homme et ensuite c’est fini".

Ce qui intéressant, c’est la comparaison avec l’Allemagne. Angela Merkel ne s’est pas rendue aux JO de Pékin, elle a reçu le dalaï lama publiquement ou a encore félicité Liu Xiaobo, le prix Nobel de la Paix. Et pourtant, la Chine n’a pas protesté. Il y a donc deux poids, deux mesures.


"Pour Sarkozy, Liu Xiaobo n’est pas le sujet le plus important"


Pourquoi ?

Tout simplement car l’Allemagne a une position ferme qui ne change pas tous les ans. Or la caractéristique de la France vis-à-vis de la Chine est qu’il n’y a pas de politique sur le long terme. Or pour les Chinois, il s’agit d’une faiblesse car ils ne respectent que la force. Cette remarque est valable pour tous les présidents et gouvernements français des dernières années, de droite comme de gauche.

Quand la Chine fait une colère, la France fait des concessions.  Et s’il n’y  pas de concessions, elle refait une colère jusqu’à obtenir satisfaction. C’est le jeu normal de la diplomatie chinoise. Certains l’ont compris mais ils ne sont pas écoutés ou consultés par le gouvernement. Résultat : la Chine joue de manière remarquable avec les personnalités jouant le rôle de "point d’entrée". Il y a eu Alain Peyrefitte, Raymond Barre et maintenant Jean-Pierre Raffarin. Elle les cajole comme il le faut. En échange, ces derniers font de la pub pour la Chine et n’agissent de fait plus dans l’intérêt de la France.


Liu Xiaobo, le prix Nobel de la Paix, est-il un sujet tabou ?

Disons que ce n’est pas le sujet le plus important pour la France, même si c’est le sujet le plus important pour beaucoup de personnes qui ne sont pas au gouvernement. Ces personnes font du lobbying et sont prêtes, par idéologie, à mettre en péril les intérêts de leur pays pour défendre leur point de vue.

D’ailleurs, si le programme détaillé de la visite est opaque, c’est pour éviter des manifestations que Hu Jintao pourrait utiliser comme prétexte pour casser des contrats. Et donc aboutir in fine à la perte d’emplois français. De même, l’absence de conférence de presse montre que les Chinois sont maîtres du jeu. Bref, s’il y a quelque chose sur Liu Xiaobo, cela sera probablement une simple déclaration de Nicolas Sarkozy lue et relue avec l’accord des Chinois.

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