ANALYSES

Accentuer le discrédit des régimes arabes

Presse
3 décembre 2010
Interview de [Karim Bitar->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=bitar]
Quelles répercussions pourraient avoir les révélations de WikiLeaks sur le Moyen-Orient ? Et quels sont les pays les plus concernés ?

Les répercussions seront considérables, même si dans un premier temps, elles seront essentiellement psychologiques. Alors qu’en Europe, il peut être tentant de minimiser cet événement, de le balayer d’un revers de la main en disant qu’il ne s’agit que de cancaneries diplomatiques, au Moyen-Orient, ces «cancaneries» révèlent l’hypocrisie de bien des régimes, mettent à nu la médiocrité des gouvernants et créent d’importantes blessures d’ego, lesquelles peuvent entraîner des conflits diplomatiques et plusieurs crises de confiance. A ce stade, seuls 300 des 25 000 télégrammes ont été publiés, et l’onde de choc est déjà fortement ressentie.

Les pays les plus concernés jusqu’à présent sont ceux du Golfe alignés sur les Etats-Unis, notamment l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis. Certes, l’animosité des monarchies du Golfe envers l’Iran était un secret de Polichinelle, mais il n’en reste pas moins que ces révélations jettent une lumière crue sur la duplicité de la plupart des dirigeants arabes. Et plus le soleil se rapproche de la blessure, plus celle-ci est douloureuse.


L’Iran dénonce «une campagne de guerre d’information», qu’en pensez-vous ?

La réaction iranienne m’a semblé maladroite. En maître de l’esbroufe, Ahmadinejad cherche à sauver la face, fanfaronne, dénonce un complot américain et prétend que tout va pour le mieux avec ses voisins arabes. Il fait penser à quelqu’un qui aurait reçu plusieurs crachats à la figure et qui affirme qu’il pleut. Cela dit, il est vrai que si les Etats-Unis décident d’entrer en guerre avec l’Iran, ces informations pourraient leur être utiles pour mobiliser leur opinion publique en affirmant que les Arabes sont derrière eux. Sur ce point, il est important de ne pas confondre les opinions arabes avec la position de quelques monarques. Une étude de Brookings a récemment montré que les masses arabes sunnites, malgré les susceptibilités, ne partageaient pas l’obsession anti-iranienne de leurs dirigeants. Pour 57% d’entre eux, l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran serait positive. Pour 88% d’entre eux, la principale menace reste Israël.


Pourquoi ces fuites dérangent-elles autant ? Sont-elles crédibles ?

Elles dérangent parce que précisément elles sont crédibles. Personne n’a mis en cause leur authenticité. C’est comme si nous avions nous-mêmes placé un micro. Si WikiLeaks est un cauchemar pour les diplomates, c’est aussi du pain béni pour les analystes et pour les historiens qui doivent d’ordinaire attendre 75 ans pour avoir de telles informations.


Quelles sont les conséquences pour la diplomatie américaine, notamment dans la région ?

Ces révélations vont augmenter les hantises et paranoïas iraniennes, donc la répression interne et l’agressivité des alliés régionaux de l’Iran. Parallèlement, en révélant la dépendance, voire la servilité des régimes arabes envers les Etats-Unis, cette affaire vient aussi accentuer le discrédit de ces régimes. Les télégrammes ont, par ailleurs, battu en brèche toute la rhétorique américaine autour des droits de l’homme, puisqu’on a vu que ces questions n’étaient jamais abordées avec les pro-Américains, fussent-ils des autocrates. Cette affaire est venue démontrer à ceux qui ne l’avaient pas encore compris que les grandes puissances n’ont pas besoin d’amis mais uniquement d’instruments. En la matière, il est apparu que le monde arabe était très bien fourni.

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