ANALYSES

Les défis turcs

Presse
11 juin 2011
Didier Billion - Le Figaro

A la veille des élections, l’expert décrypte les succès et les zones d’ombre de l’AKP, parti du premier ministre turc.


Demain, les citoyens turcs vont se rendre aux urnes pour participer aux 17e élections législatives organisées depuis 1945 date à laquelle leur pays a initié sa transition démocratique. Depuis lors, en dépit d’interventions militaires répétées les évolutions s’inscrivent dans un processus de renforcement des principes démocratiques. Le cadre d’un Etat de droit qui fonctionne a permis à ce pays de surmonter les nombreux défis. Le résultat des élections présentes ne laisse guère de place au suspense et le Parti de la justice et du développement (AKP) dirigé par Recep Tayyip Erdogan, est assuré de remporter une troisième victoire législative avec un score proche de 50 % des suffrages exprimés.


Cette chronique d’une victoire annoncée se décrypte par de nombreux facteurs résultats économiques brillants, le taux de croissance atteignant 8,9 % en 2010, gestion appréciée des nombreuses municipalités gérées par l’AKP, affirmation diplomatique de la Turquie, désormais considérée comme une puissance régionale et internationale.


L’AKP est parvenu à exprimer les profonds mouvements de la société turque qui a favorisé l’émergence de nouvelles catégories sociales. II s’agit notamment des « Tigres anatoliens », ces pieux entrepreneurs qui s’imposent comme un nouveau segment de la bourgeoisie turque dont les intérêts s’incarnent dans la politique mise en œuvre par l’AKP.


Ces évolutions modifient les paradigmes traditionnels de la Turquie au détriment des vieilles élites kémalismes qui constituèrent la colonne vertébrale de l’édification républicaine. Le constat est particulièrement flagrant en ce qui concerne l’institution militaire dont la capacité à s’imposer dans le champ politique ultérieur est désormais considérablement réduite.


Le succès annonce de l’AKP s’explique aussi par les difficultés des partis d’opposition à affirmer comme alternatives crédibles. Certes, le Parti républicain du peuple parti de l’establishment kémaliste, tente depuis un an de sortir de la marginalité induite par son ancien secrétaire général Kemal Kiliçdaroglu son nouveau leader, y parvient en promouvant une ligne sociale-démocrate et en formulant des propositions positives sur la question kurde. Toutefois le chemin est encore long pour prétendre à l’accession au pouvoir. Le Parti d’action nationaliste (MHP), nationaliste xénophobe, est pour sa part menacé dans ses bastions traditionnels et secoué depuis plusieurs semaines par des scandales sexuels d’une dizaine de ses hauts dirigeants.


Le tableau des succès de l’AKP, brièvement esquissé ne doit pas minimiser les zones d’ombre. Les bons résultats économiques n’ont pas réduit les profondes inégalités sociales qui persistent, voire s’aggravent. De même pour les inégalités régionales la partie orientale du pays souffrant toujours de l’état de guerre civile larvée frein récurrent au développement et obstacle à la résolution de la lancinante question kurde.


Au strict niveau politique, si l’AKP a promu un temps de véritables réformes démocratiques, on perçoit toutefois de sa part un raidissement autoritaire préoccupant ces derniers mois. L’élection des membres du Conseil supérieur des juges et des procureurs qui s’est traduite par la volonté de l’AKP de politiser cette institution, ou encore l’arrestation au mois de mars, de journalistes réputés sont autant d’indices du danger que court le processus de démocratisation.


Ce raidissement vise à réduire l’électorat le plus conservateur incarné, par le MHP a moins de 10 % des suffrages, privant alors ce dernier d’une représentation parlementaire. Si l’AKP parvient à atteindre cet objectif il serait alors en mesure de faire adopter une nouvelle Constitution sans avoir besoin d’en négocier le contenu avec les partis d’opposition. La démocratie turque en pâtirait incontestablement


On le voit si la victoire de l’AKP ne fait aucun doute, les mois à venir seront riches de débats politiquement déterminants pour l’avenir du pays.

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